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Critique de Arimbo



Nous qui avons été façonnés par l'Ecole de la République Française, voulons toujours croire à l'universalité des valeurs de liberté, égalité, fraternité. Et à la tolérance, la bienveillance à qui ne pense pas comme nous, ou qui est différent de nous.
Mais nous savons bien que nous nous trompons.
Même au sein de notre pays, ces valeurs ne sont pas partagées. Il suffit de voir l'attitude de certains hommes à l'égard des femmes, des homosexuels, et plus généralement le racisme ordinaire, le rejet des immigrés. Cependant, il faut le reconnaître, même si ça n'est pas parfait, notre société, en matière de l'égalité homme-femme, du droit des homosexuels, a beaucoup progressé.
Mais, sur notre planète, « tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon » selon le beau titre d'un livre de Jean-Paul Dubois. Il y a d'autres lieux, bien nombreux, qui vivent une réalité bien différente. Ainsi de tous ces pays dans lesquels, pour des motifs religieux, identitaires, l'homosexualité est considérée comme un crime qui peut conduire à la mort.
Le roman de Mohamed Mbougar Sarr nous le révèle dans sa cruauté, et ça fait mal.

Lors de l'attribution du Prix Goncourt 2021 à l'écrivain, une de mes proches m'a signalé qu'il avait publié auparavant, en 2018, un roman fort dont le thème principal est l'attitude de la société sénégalaise à l'égard des hommes homosexuels, et la condition insoutenable de ces derniers.
Et de nombreuses critiques justes et émouvantes ont été consacrées à ce livre sur Babelio.

Sa lecture m'a bousculé et émerveillé. C'est différent de « La plus secrète mémoire des hommes », plus court, moins érudit, mais quelle puissance et quelle beauté.
M.Mbougar Sarr nous raconte de façon prenante et belle l'histoire d'un jeune professeur de français de l'Universite de Dakar, fils d'un imam, et culturellement plutôt défavorable à l'homosexualité, qui va découvrir la vidéo de l'exhumation violente et haineuse du cadavre d'un homme présumé homosexuel et enterré dans un cimetière musulman.
Cette vidéo le laisse dans un premier indifférent, ce qui a le don de fâcher son amante. Mais c'est un esprit libre et curieux, et, dans un deuxième temps, il va chercher à comprendre, à savoir qui était cet homme arraché à son tombeau.
Et puis, cet universitaire critique à l'égard du système dans lequel il vit, va refuser d'appliquer une consigne de sa direction qui demande de ne plus enseigner les oeuvres d'écrivains connus pour être des homosexuels tels le poète Verlaine, car pour lui il faut distinguer l'homme et l'oeuvre.
Mais cette liberté d'esprit et cette volonté de comprendre vont l'entraîner dans un engrenage implacable où il perdra le soutien de sa famille, de ses collègues et de ses étudiants, et il sera confronté au poison de la rumeur.
Mais, comme toujours, il y a l'intrigue et la façon de la raconter.
La façon de nous faire ressentir la vie profonde, ce n'est pas donné à tout le monde. Et ici, c'est magnifique, que ce soit la fête pleine de sensualité menée par un travesti et où toutes les femmes dansent avec frénésie, la plénitude de la courte retraite du héros au bord de la mer, la rencontre peine de compassion avec la mère du jeune défunt accusé d'homosexualité, il y a des moments si beaux, si émouvants parfois, je ne peux tous les citer.

Et tant de réflexions d'une grande force sur la violence, la mort, la rumeur. Par exemple celle-ci:
« Ce sont de purs hommes parce que, à n'importe quel moment, la bêtise humaine peut les tuer, les soumettre à la violence en s'abritant sous un des nombreux masques dévoyés qu'elle utilise pour s'exprimer: culture, religion, pouvoir, richesse, gloire…Les homosexuels sont solidaires de l'humanité parce que l'humanité peut les tuer ou les exclure.
On l'oublie trop souvent, ou on ne veut pas s'en souvenir: nous sommes liés à la violence, liés par elle les uns les autres, capables à chaque instant de la commettre, à chaque instant de la subir. Et c'est aussi par ce pacte avec la violence métaphysique que chacun porte en lui, par ce pacte, autant que par tout autre, que nous sommes proches, que nous sommes semblables, que nous sommes des hommes » .

Et aussi, ce qui m'a frappé, c'est que le roman nous renvoie comme un miroir, l'attitude de nombre d'entre nous en France à l'égard des musulmans, des immigrés. Ce discours sur l'homosexualité vécue comme une sorte de corruption par une influence occidentale, qui touche à l'intégrité de la société sénégalaise, au risque de la faire s'effondrer, ça ne vous rappelle rien? Ces théoriciens français du grand remplacement, qui considèrent que les musulmans, les immigrés touchent aux racines chrétiennes de notre pays.

Enfin, l'écriture est superbe, dense, au plus près des sentiments et des sensations, comme l'a si bien écrit mon amie babeliote Chrystèle, Hordeducontrevent.
Le lecteur réalise qu'il a affaire à un grand écrivain, la suite le confirmera.
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