Soudain des mots, une strophe, une seule, elle flotte, se déploie, elle m'enveloppe, me pénètre... une chaude buée...
Et toute notre construction, cet objet patiemment recollé se défait...les morceaux emboîtés les uns dans les autres se séparent, s'éparpillent...ils disparaissent...les mots les recouvrent... Par toutes leurs voyelles, leurs consonnes ils se tendent, s'ouvrent, aspirent, s'imbibent, s'emplissent, se gonflent, s'épandent à la mesure d'espaces infinis, à la mesure de bonheurs sans bornes...
Ce sont des mots de passe qui permettent d'accéder... des mots qu'il suffira de murmurer à mon oreille pour me faire dans la béatitude passer là-bas d'où ils viennent, où ils sont, dans la paix éternelle, dans la "lumière réelle".
Mais qui moi ? Il n'y a plus de moi, plus de lui, plus de séparations, plus de fusions, il n'y a que leur balancement, leur vibration, leur respiration, leur battement... qui font vibrer et respirer une même substance, battre au rythme d'un même pouls une même vie...
- Mais comment ? Comment le dire ? Où trouver ? Quels mots ? Il n'y a chez vous ici aucun choix.
- Prends les tiens...
- Impossible, je n'en ai pas, et si j'en avais ils ne parviendraient pas... (p.92)
Il faut, n'est-ce pas, de tout pour faire un monde.
Les mots qui sortent de sa bouche semblent eux aussi débités par un disque. Ils rendent un son lointain comme ceux qu'on entend prononcer autour de soi tandis que le sommeil vous gagne... « Ce que vous dites est une stupidité. C'est une sottise. Une ineptie. C'est ce que disent les imbéciles.
« Des petits imbéciles »... du tac au tac, répondre du tac au tac. Renvoyer la balle. Rendre à quelqu'un la monnaie de sa pièce. Renverser la vapeur. C'est ainsi qu'on nomme ça. C'est aussi ce qui s'appelle un retour de bâton.
La vie est là, en chair et en os... elle joue sur ces peaux luisantes et lisses, duvetées, burinées, traversées de sillons, parcourues de ridules, de veinules bleutées, tendues ou affaissées, et ces nez retroussés, aquilins, ces lèvres, mentons, paupières lourdes, creusées, fentes étroites, arrondies des yeux... leur chair... sa chair... la moindre atteinte ferait courir le long de son échine... le ferait aussitôt se dresser pour s'interposer, pour les protéger...
On doit absolument donner les mêmes chances, accueillir avec la même attention... ne pas ménager ses forces, se ménager...
Quand on a commencé, il faut aller jusqu'au bout.
Quelqu'un a-t-il jamais pu penser de lui-même qu'il était bête ?
- Oh, carrément un imbécile... ça, tout de même pas..(p.124)
Un seul geste et tout l'homme est là. (p.1118)