- (...) C'est qu'on lit vite, mal et qu'on juge avant d'avoir compris. Donc, recommençons. Cela n'amuse personne, ni vous, ni moi. Mais il faut enfoncer le clou. Et puisque les critiques me condamnent au nom de la littérature, sans jamais dire ce qu'ils entendent par là, la meilleure réponse à leur faire, c'est d'examiner l'art d'écrire, sans préjugés. Qu'est-ce qu'écrire? Pourquoi écrit-on? Pour qui? Au fait, il semble que personne ne se le soit jamais demandé.
"La prose se sert des mots, la poésie sert les mots"
Il n"y a que de bons et de mauvais romans. Et le mauvais roman est celui qui vise à plaire en flattant au lieu que le bon est une exigence et un acte de foi. Ainsi qu'il soit essayiste, pamphlétaire, satiriste ou romancier, qu'il parle seulement des passions individuelles ou qu'il s'attaque au régime de la société, l'écrivain, homme libre s'adressant à des hommes libres, n'a qu'un seul sujet : la liberté.
« Le désir s’exprime par la caresse comme la pensée par le langage . »
« Le désir s’exprime par la caresse
Comme la pensée
Par le langage » ...
Il est faux que l'auteur agisse sur ses lecteurs, il fait seulement appel à leurs libertés.
Chacun a ses raisons : pour celui-ci, l'art est une fuite ; pour celui-là, un moyen de conquérir. Mais on peut fuir dans un ermitage, dans la folie, dans la mort ; on peut conquérir par les armes. Pourquoi justement écrire, faire par écrit ses évasions et ses conquêtes?
Avant d'etre un document,un passe temps ou une similationdu vrai,le roman est une lecon de conduite
Les idéologies sont liberté quand elles se font, oppression quand elles sont faites
p 193
La grave erreur des purs stylistes c'est de croire que la parole est un zéphyr qui court légèrement à la surface des choses, qui les effleure sans les altérer. Et que le parleur est un pur témoin qui résume par un mot sa contemplation inoffensive. Mais parler c'est agir. Toute chose qu'on nomme n'est déjà plus du tout à fait la même, elle a perdu son innocence.
Si vous nommez la conduite d'un individu vous la lui révélez : il se voit. Et comme vous la nommez, en même temps, à tous les autres, il se sait vu dans le moment qu'il se voit, son geste furtif, qu'il oubliait en le faisant, se met à exister énormément, à exister pour tous, il s'intègre à l'esprit objectif, il prend des dimensions nouvelles, il est récupéré. Après cela comment voulez-vous qu'il agisse de la même manière ?
Ainsi, en parlant, je dévoile la situation par mon projet même de la changer. Ainsi le prosateur est un homme qui a choisi un certain mode d'action secondaire qu'on pourrait nommer l'action par dévoilement. Il est donc légitime de poser cette question à tout jeune gens se proposant d'écrire : Quel aspect du monde veux-tu dévoiler, quel changement veux-tu apporter au monde par ce dévoilement ?