C'est que la sincérité est effrayante; j'entends non pas celle qui dit aux autres leurs vérité, mais celle qui s'applique à nos propres pensées. Auprès des êtres qui nous touchent de près, nos aveux sont irréparables; nous sommes-nous découverts en face d'eux, il faut que nous demeurions à nu le reste de nos jours, il n'y a plus d'abri ni d'ombre.
Mais où trouver un langage pour vous parler de nous-mêmes, à vous autres enfants, qui vous tenez silencieux dans votre coin, à nous considérer bien moins en amis qu'en juges? Ce prestige qu'il nous fallait pour vous gouverner, vous ne nous permettez plus de nous en départir. Nos qualités, vous tablez sur elles, et vous n'en prenez que ce qu'il vous plaît, tandis que nos faiblesses, vous les relevez toutes, comme autant de consécrations des vôtres.
Vous voulez que je sois sincère, répliquai-je, et vous voulez en même temps que je n'aie pas à rougir de moi. Comment ne voyez-vous pas que tout sentiment profond a des ramifications devant lesquelles on reste effrayé?
Mais dès que je ne veux pas mentir à moi-même, je ne trouve en moi qu'un désir - et il est irréalisable: être loin, être seul, être tout à fait seul pendant des mois, réfléchir, me reprendre, sans mon argent, sans le soutien d'aucun être qui m'aime, pour voir si je vaux quelque chose, pour essayer mes forces, pour être sûr que lorsque j'aime, c'est bien réellement un libre choix!
Je ne suis pas sûr d'avoir jamais éprouvé ce qu'on appelle le remords, mais si quelque chose s'en approche, c'est bien la pensée d'avoir côtoyé vingt ans ce chagrin sans le reconnaître.
Jean Schlumberger
Interview de
Jean SCHLUMBERGER chez lui, dans sa
bibliothèque. Il évoque les débuts de la NRF, qu'il a créée avec
André GIDE et Jacques COPEAU. Il faisait partie d'un groupe d'amis qui se réunissaient chez
André GIDE et avaient le même désir de créer une revue prônant la défense de la
littérature. Dirigée par
André GIDE, la Nouvelle revue française conférait un certain nombre de...