Roman, biographies, enquêtes…un peu de tout sans doute. Quatre récits illustrés de photos anciennes « collant » au texte, une construction – texte-photos – comparable à celle d'
Austerlitz, avec lequel j'avais découvert cet auteur..une découverte que je souhaitais poursuivre avec ce livre encensé par la critique lors de sa parution en 1992.
Quatre personnages tous différents qui ont fuit, enfant avec leurs parents ou adultes, l'Allemagne ou la Lituanie, leurs pays de naissance. Quatre personnages d'origine juive menacés par les nazis. Quatre hommes qui apprendront plus tard la disparition des leurs.
Peu à peu ces quatre hommes, sans aucun lien entre eux, réussissent leur vie sociale dans leur pays d'accueil, ils seront chirurgien, pédagogue, majordome, peintre de renom. Certains modifieront leur nom, pour mieux s'intégrer à leur pays d'accueil. Ils auront tous de beaux métiers mais seront des hommes assez seuls, l'auteur ne nous parle que très peu de leurs familles, de leurs amies féminines.
Ils auront quelques amis, qui tour à tour raconteront leur vie, comment il les ont connus, aimés. Tous quatre seront dans leur nouveau pays et malgré leur réussite professionnelle d'éternels tourmentés. L'émigration laisse parfois des traces indélébiles, un vide.
Aucun n'oubliera son départ : « Je vois les pièces vidées. Je me vois assis tout au sommet de la carriole, je vois la croupe du cheval, la vaste étendue de terre brune, les oies dans la gadoue des basses-cours et leurs cous tendus, et aussi la salle d'attente de la gare de Grodno avec, au beau milieu, le poêle surchauffé entouré d'une grille et les familles d'émigrants regroupées tout autour. Je vois les fils du télégraphe montant et descendant devant les fenêtres du train, je vois les alignements des maisons de Riga, le bateau dans le port et le recoin sombre du pont où, autant que l'entassement le permettait, nous avions installé notre campement familial. »
L'écriture de Sebald qui a lui même choisit d'émigrer, s'appuie sur des photos d'époque, laissant à penser qu'il s'agit d'enquêtes minutieuses, auprès des familles, ou auprès de personnes qui ont côtoyé et aimé ces quatre personnages; quatre puzzles qu'il essaie de reconstituer. Ont-ils existé? Quelle est la part de roman?
En tout cas, Sebald sait décrire les tourments de ces âmes, tracer l'histoire et la mélancolie de ces hommes calmes et nous faire ressentir leur fragilité intérieure. Dans chaque vie alternent le rose et le gris. La vie rose avant l'arrivée des nazis, vie sans soucis, devint grise et le resta dans leur pays d'accueil, non pas du fait de leurs conditions de vie, mais du fait de ce manque au fond du coeur.
Une grisaille qui les confrontera, soit dans leur chair ou dans celle de proches, à la folie et à l'internement psychiatrique ou au suicide violent.
« Dans le silence général, les beaux rêves qu'il avait échafaudés tout au long de l'été, s'effondrent comme un château de cartes. L'avenir se brouille devant ses yeux et il éprouve, il éprouve alors pour la première fois cet implacable sentiment de défaite qui plus tard devait si souvent l'envahir et auquel il allait finir par succomber ».
« Émigrés » un mot qu'on entend de plus en plus…j'ai voulu en savoir plus grâce à Sebald, et je n'ai pas regretté mon émotion.
Lien :
http://mesbelleslectures.com..