Je ne connaissais point la broderie, mais point n'en était besoin pour comprendre que ce commerce prospérait. Au premier coup d'œil, on avait l'impression qu'une bonne dizaine de personnes se concentraient sur leur besogne. Tout le long d'un mur, d'immenses panneaux en fils de soie étaient tendus sur des cadres de bois. Deux hommes en tablier blanc y passaient rapidement l'aiguille en une sorte de point croisé, qui peu à peu dessinait des motifs de fleurs, d'oiseaux et de mammifères. Quelquefois, l'un ou l'autre se référait à une grille de couleurs dessinée sur un bout de parchemin, cloué sur le montant entre les cadres. Mais la plupart du temps, ils n'avaient pas besoin de modèle et semblaient savoir d'instinct ce qu'il convenait de faire.
Trois femmes travaillaient sur un cadre horizontal juste en face de moi. Elles étendaient des brins de fil bleu et or en travers d'une pièce de soie cramoisie, puis les fixaient à petits points afin de former une masse de couleur. Ce procédé, comme je l'apprendrais par la suite, s'appelle le "couchage". Deux jeunes femmes étaient initiées à l'art de l'appliqué par une matrone (...) tandis qu'une autre, d'âge mûr, cousait de petites perles de verre à facettes au centre de médaillons en velours brodé qui, à leur tour, étaient fixés aux manches d'une dalmatique en soie vert sombre.
Sur un long tréteau à ma gauche, de très jeunes filles s'affairaient à broder des articles aux dimensions plus modestes, tels que des aumônières, des ceintures ecclésiastiques et des rubans. On eût dit un essaim, une véritable ruche.