Monsieur le directeur, dit le garçon.
-Oui », dit Mahler.
Il avait les yeux mi-clos et écoutait le battement des moteurs.
« C’est quel genre de musique, celle que vous faites ? Vous pourriez m’en parler ?
-Non, on ne peut pas raconter la musique, il n’y a pas de mots pour ça. Dès qu’on peut décrire la musique, c’est qu’elle est mauvaise. (p. 63)
Mahler repensait à cette époque avec un léger étonnement. Qu’il était jeune alors. Tout ça lui semblait maintenant faire partie d’une autre vie. On produit un son et il continue de vibrer dans l’espace. Et déjà il porte en lui sa fin. (p. 33)
Le pupitre l’avait vu mûrir, il avait été le compagnon de son évolution de chef d’orchestre.
Jeune, il n’était que mouvement, les caricatures de presse le représentaient alors comme une espèce de singe juif brouillon ou de diable à ressort. Les gazetiers l’affublaient de la danse de Saint-Guy, ils le comparait à un de ces aliénés habités par un dibbouk qui esquissent des mouvements grotesque, apparemment incohérents. Mais, en prenant de l’âge, il avait gagné en sérénité et sa gestique en sobriété, il dirigeait pratiquement sans bouger, à l’exception de sa main droite, qui traçait dans l’air des lignes ténues, et de ses yeux, dont on disait qu’ils étaient comme charbons ardent pendant les concerts et semblaient lancer des éclairs aux applaudissements, quand les lumières de la rampe s’y réfléchissaient.
« La mer n’est jamais ton amie, lui avait dit un vieux marin, elle ne veut ni bien ni mal, elle ne veut strictement rien. Elle n’a pas l’ombre d’une intention, quand elle te tue d’une seule lame… «