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Citations sur Le Dernier Mouvement (34)

Mahler ne pouvait se rappeler avoir jamais vue ce lustre. D'ailleurs il avait l'impression de voir pas mal de choses pour la première fois. Et peut-être en était-il ainsi en fin de compte. Il avait entendu dire un jour que chaque cellule du corps humain était remplacée plusieurs fois aux cours d'une vie, si bien qu'au bout de quelques années ne subsistait plus rien de votre corps initial. Une perpétuelle renaissance en miniature en quelque sorte.
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Il eut un rire bref. Rodin claqua une motte d’argile sur le buste et marmonna quelque chose d’inintelligible.
« Pardon ? dit Mahler.
– Si monsieur voulait bien avoir l’obligeance de rester immobile, traduisit Claire de Choiseul.
– C’est bon, dit-il.
– Non, justement, cela n’est pas bon, dit Claire. Nous voulons que le travail avance, n’est-ce pas ?
– Qui ça nous ?
– Nous tous ici dedans et la plupart d’entre nous dehors. Tant que nous n’avançons pas ici dedans, le monde dehors tourne au ralenti.
– Puisse-t-il cesser complètement de tourner, dit Mahler. Voilà qui réglerait bien des choses.
– Ne l’écoutez pas, intervint Alma. Il est un peu fatigué.
– C’est faux, objecta Mahler. Je n’ai jamais été aussi en forme.
– Tais-toi ! dit Rodin. Tais-toi, putain ! *
– Que dit-il ? demanda Mahler.
– Il vous prie encore instamment de rester immobile, dit Claire. La journée n’est pas terminée.
– Elle semble même partie pour être interminable, dit Mahler. Mais bon, je m’en vais rester assis sans bouger. Jusqu’à ce que mort s’ensuive.
– Gustav, s’il te plaît, fais un effort !
– Mais pourquoi donc, c’est la solution : rester immobile jusqu’à la fin des temps. Vous pourrez m’embaumer ou m’empailler ou les deux. Ça nous épargnera tout ce travail avec ce buste. Sans parler du coût.
– Ne l’écoutez pas, dit Alma.
– Nous faisons notre possible, dit Claire.
– Mais sûrement pas l’impossible, dit Mahler.
– De quoi parlent-ils, ces idiots ? *» demanda Rodin.
Ses yeux étaient injectés de sang, les poils de sa barbe tressaillaient autour de sa bouche.
« De rien, dit Claire. Monsieur fantasme sur la mort *. »
Rodin secoua la tête. Puis il se leva, marcha vers la sculpture à moitié terminée d’un satyre qui émergeait du sol, et lui asséna un coup de pied magistral. Il ne se calma que lorsque Claire se fut approchée doucement de lui par-derrière, pour lui passer les bras autour du cou et lui souffler quelques mots à l’oreille d’une voix contenue mais pressante. Sans un regard pour le satyre anéanti, il revint au buste. Il rectifia encore une fois la racine des cheveux, passa l’index en travers du front, puis il s’affaissa sur lui-même, le souffle rauque, et ferma les yeux.
« Qu’est-ce qui se passe encore, maintenant ? demanda Mahler.
– Le maître a terminé, dit Claire en se levant de sa chaise. Il faut que cela sèche à présent et que ce soit moulé. Le buste vous arrivera par la poste.
– Et l’histoire finit bien, à la bonne heure, s’écria Mahler en sautant de son trépied. Allons-y, Alma ! »
(* en français dans le texte)
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Il avait entendu dire un jour que chaque cellule du corps humain était remplacée plusieurs fois au cours d’une vie, si bien qu’au bout de quelques années déjà ne subsistait plus rien de votre corps initial. Une perpétuelle renaissance en miniature en quelque sorte. Mais alors, si les différentes parties étaient ainsi soumises à un échange permanent, pouvait-on encore concéder au tout quelque chose qui fût de l’ordre de la continuité ? Un soi pérenne, dont le noyau et l’essence seraient inaltérables ? Le chef Gustav Mahler à la réputation mondiale était-il encore la même personne que le jeune directeur récemment nommé de l’Opéra de Vienne qui s’asseyait, jadis, dans ce fauteuil à bascule, sous ce lustre en cristal ? Ou que le petit Juif de six ans, un chapeau plat à la main et une expression de tristesse infinie dans le regard, qu’on voyait sur la photo sauvée à l’instant, in extremis, du transfert au garde-meuble par Alma ?
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« Je crois que je le tiens, dit-il, c’est une dissolution. Un silence qui s’installe lentement dans l’éternité. »
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La solitude étaient un sentiment que seuls les adultes étaient capables d’affronter. Qui se sent seul peut toujours méditer sur sa propre personne.
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Il lui arrivait de penser à son pupitre avec une tendresse secrète, comme s’il s’agissait d’un être vivant. Il est patient comme un vieil âne, se disait-il. Il a beaucoup vécu et beaucoup supporté. Les vers et la poussière. L’encre et la sueur. D’innombrables coups avec la baguette. Ou du plat de la main. Il a encaissé les colères et les joies de toute une vie.
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A l’époque, l’idée de flotter au-dessus d’un espace peuplé d’une multitude d’étranges créatures vivantes, que ce fût sur une planche de bois ou dans la cabine impériale d’un vapeur à quatre moteurs de la Norddeutscher Lloyd AG, n’avait pour Mahler rien de réconfortant. Mais voilà qu’aujourd’hui cette pensée suscitait en lui quelque chose qui ressemblait presque à un petit plaisir. Tout regorgeait de vie. La mort elle-même n’était qu’une idée de vivants. Tant qu’on pouvait se l’imaginer, elle n’était pas encore là. (p. 106)
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Mieux valait se fier à son oreille, et plus encore à son assiduité. Il fallait écouter les choses, puis se caler les fesses sur un siège et travailler, là était tout le secret.
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Nos premières pensées sont simples, les dernières le sont aussi. C'est dans l'entre-deux que s'installe la confusion.
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Après qu'on eut chargé les derniers meubles, payé les porteurs, et que le camion eut disparu avec fracas au coin de la rue, Alma et lui s'attardèrent un moment dans ces pièces vides qui avaient été leur appartement.
"C'était bien, dit Alma
- Quoi ? demanda-il.
- Tout, dit-elle, tout ici était bien".
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