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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Prétendre que la lecture des “Immémoriaux” de Segalen est aisée serait publicité mensongère. Avant de s'y aventurer, mieux vaut connaitre le projet de l'auteur, et accepter son parti pris. Celui d'un décalage, d'un changement de place et donc de point de vue. D'où l'on parle ? Eh bien, pas d'où l'on a l'habitude de parler ou d'entendre parler. On parle d'ailleurs, d'un autre côté, d'en face. Surprise ! Non seulement la voix change, mais aussi le propos. Et même le sens des mots. A vrai dire ce monde à l'envers est un autre monde. le risque de l'exotisme, cher à Segalen, ne l'effraie pas. Au contraire il le savoure.
Lorsqu'à l'aube du vingtième siècle Victor Segalen débarque à Tahiti, son éblouissement est total. Il découvre et aime ce monde qu'il voit disparaitre. Gauguin se révolte et meurt de désespoir autant que de maladie. Ségalen, qui le manque de peu, va faire l'histoire et le récit de ce déclin. Mais en romancier plus qu'en historien et surtout, du point de vue des insulaires et autant que possible, dans leur langue. Tout est dans ce changement d'appui. Il ne s'agit pas d'imagination. Segalen apprend tout des modes de vie, des coutumes, des croyances et du langage des populations maoris. Il se réfère à une abondante littérature ethnologique, avec force notes savantes. Il met en scène dans un récit/roman le choc des cultures au moment du débarquement des blancs. Il écrit à sa mère : “l'action se passe entre 1800 et 1820 à Tahiti. C'est le vieux passé maori que j'oppose à la «civilisation» représentée à ce moment-là par les missionnaires protestants.” Ce roman prend les récits d'explorateurs ou de voyageurs à contre pied et à contre temps. Dénonciation, certes, mais par démonstration, et non par pamphlet.
Le procédé est d'une grande efficacité. Il sera repris et transposé. Ainsi Amin Maalouf avec “Les Croisades vues par les Arabes” en 1983. Et bien d'autres, en littérature comme au cinéma. Mais là il est nouveau. “Les immémoriaux” paraissent en 1907. Un nouveau genre est fondé : le roman ethnographique.


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Les Immémoriaux sont un monument....à la civilisation maorie comme à la littérature. L'abord n'est pas forcément aisé mais lorsqu'on se laisse submerger par la vague des aventures, plus rien ne vous détachera du roman.

Terii veut devenir un prêtre-conteur, autant dire le must dans la hiérarchie maorie. Il est obligatoire de connaitre les lignées de dieux et les réciter toutes sans erreur afin de gagner prestige et reconnaissance. Hélas, le héros oublie et comble de malchance son erreur est accompagnée d'une nouvelle révolutionnaire : des étrangers arrivent.
Le héros fera tout pour regagner sa place et il part à la quête des récits premiers que seul un vieux sage sur une île lointaine connait....Un périple poétique se met en branle, faisant passer les années et s'installer les colons.
Au retour tardif du héros, l'ancienne Tahiti n'existera plus. Commencera alors le récit de l'agonie d'une civilisation.

Roman qui adopte le point de vue de l'Autre, du battu, du Tahitien, Les Immémoriaux n'est pas un roman du bon sauvage. Allez voir les premières pages et le périple de Térii à travers les charniers. Segalen tente de défendre la culture de cette île en montrant sa poésie et sa cruauté; bref, faire ressortir son mystère comme l'a magistralement réussi Gauguin.

Mais de manière plus générale, Segalen réfléchit au pouvoir de l'acculturation et à la chute de prestige de la littérature et de l'esprit....une leçon à méditer pour notre propre société en ce début de XXI° siècle!
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A l'époque où j'étais tête chercheuse ; cours sur la décolonisation qui, bien sûr, commence par un cours sur la colonisation. Parmi les livres à lire « Les Immémoriaux ».
Comme on disait alors, je sortais de ma campagne mais je me souviens encore de ce professeur en toge qui me faisait découvrir un écrivain de mon pays.
C'est l'histoire de Térii, un haèré-po, détenteur de la mémoire de son île : O-Tahiti.
Son rôle, lors des cérémonies rituelles: réciter ses connaissances sur les générations l'ayant précédé, accompagnant sa parole d'un geste sur une corde à noeud (to'o mata), chaque noeud représentant une génération, un nouveau récit, un nouveau nom mémorisé par le récitant.
C'est encore un temps ancien. Mais les Piritani sont déjà là, ils ont la peau blême et une avà qui brûle la gorge et rend fou. Ils sont bizarres
Lors d'une cérémonie il a un trou de mémoire sacrilège. Très mauvais pour lui car Térii met alors en péril sa position mais aussi celle de son marae à cause de la rivalité des peuples entre eux. Il doit s'enfuir et durant 20 ans il parcourt la Polynésie à la recherche des connaissances perdues.
Quand il revient dans son ile, tout a changé. Les missionnaires méthodistes anglais, armés de bibles, de codes et d'une nouvelle morale se sont installés... Les Maoris prient le seul dieu blême Iésu-Kérito et semblent avoir oublié leur mode de vie traditionnel. Ils ne savent plus lire les signes, ne se souviennent plus des ancêtres, se contentent d'une seule femme, ne travaillent plus le jour de la prière…
Térii, alors considéré par tous les convertis comme Ignorant, se laisse baptiser sous le nom de Iakoba avant de devenir diacre, reniant définitivement ses origines.
Segalen, médecin de marine avait 29 ans lors de la parution de ce livre. Jules Ferry était mort mais ses discours en faveur de la colonisation civilisatrice pesaient lourdement.
Critique vive de la colonisation, n'excluant pas la responsabilité des Maoris eux-mêmes.
Ce que montre Segalen, ce n'est pas l'idylle suave avec la nature, mais une société païenne, guerrière, habile au plaisir comme à la cruauté.
Mais le livre est surtout le contre-pied d'un certain « mythe tahitien » dont la mièvrerie était incompatible avec son projet. Pas de Loti, pas de Farrère, pas de Claudel mais une réflexion sur l'Autre et notre manière de l'envisager.
Segalen veut éliminer tout le rance de l'exotisme : « le palmier et le chameau, casque de colonial, peaux noires et soleil jaune », et décrire les cultures étrangères « du dedans en dehors », dans leur différence radicale.
L'Exotisme, écrit-il n'est donc pas la compréhension parfaite d'un hors soi-même qu'on étreindrait en soi, mais la perception aiguë et immédiate d'une incompréhensibilité.
Le style de Segalen est unique, entre le récit d'aventure, le texte ethnologique et le poème. Un très, très grand livre.
« Les hommes qui pagaient durement sur les chemins de la mer-extérieure, et s'en vont si loin qu'ils
Changent de ciel, figurent, pour ceux qui restent, des sortes de génies-errants…..
Au troisième lever du soleil, il emplit la pirogue de noix de haari, pour la soif, et de fruits de uru, pour la faim. Aidé de quelques fétii et d'une nouvelle épouse, il leva le pahi tout chargé. »
La mort de V .Segalen est présentée comme mystérieuse. Si vous passez à Huelgoat, sur la vieille route qui mène à Carhaix-Plouguer, dans la foret, près du gouffre vous trouverez l'endroit où l'on a trouvé son corps.




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5 étoiles et plus encore !

Les Immémoriaux… l'histoire de ces Maoris qui ont perdu la mémoire au contact de « l'homme blême » et ne savent plus qui ils sont… Une merveille de poésie et de philosophie qui célèbre les beautés de Tahiti.

Les Immémoriaux est depuis longtemps un de mes livres préférés. Très poétique, je ne me lasse pas des jeux de mots, des implicites qui racontent tout du monde sensible et de l'impalpable, de la fine compréhension qu'ont les Maoris de leur environnement et de la nature humaine, de l'indélicatesse des Européens à gros sabots.

Terii, jeune haérè-po (prêtre) sur l'île de Tahiti voit arriver les Anglais, « hommes à la peau blême ». Il constate leur puissance grâce aux armes « qui crachent du feu », à leurs cadeaux en métal et à leur avà qui brûle la gorge et rend fou.
Lors d'une cérémonie, les mots se dérobent et lui échappent, une faute qui attire le courroux des dieux sur son île et l'oblige à s'exiler. Terii part pour un voyage de 20 ans autour des îles polynésiennes.
A son retour, Tahiti a bien changé. Les Maoris lisent, prient le dieu blême Iésu-Kérito (Jésus Christ) et semblent avoir oublié jusqu'à leur mode de vie traditionnel au contact de la nature. Il ne savent plus lire les signes, ne se souviennent plus des ancêtres, se contentent d'une seule femme, ne travaillent plus le jour de la prière…

Segalen, ethnologue et passeur de mémoire
Jeune médecin de la marine française, Segalen débarque à Tahiti en 1903. Dès son arrivée, il constate le mal-être du peuple maori et la disparition presque complète de leur culture suite au processus d'acculturation très avancé au contact des Anglais. Ceux-ci se sont durablement installés dans l'île comme soutien au chef Pomare qui devient roi de Tahiti grâce à leur appui vers 1789. Segalen s'emploie dès lors à receuillir les derniers témoignages de la civilisation maorie.

Ce roman doit donc se lire comme une histoire fabriquée à partir des récits ancestraux et légendaires compilés à des fins de conservation.

Un livre sur le syncrétisme
Ce roman est avant tout un livre sur le syncrétisme qui s'opère à la faveur de la culture judéo-chrétienne. Il décrit avec beaucoup d'humour les malentendus survenus à propos des coutumes et croyances européennes.

"Ce qui est bon pour vous, vous autres, les hommes à peau blanche, l'est-il donc également à nos yeux et à nos désirs ? Et si les tanés [hommes] dans votre terre sont à ce point vieillards et impuissants qu'une femme suffise à leurs maigres appétits, pourquoi se contenter ailleurs de cette disette ridicule !"

Si la critique est aiguisée, Segalen n'en n'est pas moins homme de son temps. En effet, il attribue aux Maoris eux-même la responsabilité de cette acculturation. Un de leurs chefs, Pomare, aveuglé par les promesses de pouvoir des Anglais, a conclu une alliance avec eux, les laissant s'installer durablement et évangéliser Tahiti contre des armes. Par ailleurs, les Maoris sont coupables selon lui d'avoir succombé aux sirènes de l'alcool et des cadeaux étrangers.

Lien : https://alombredufrangipanie..
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