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Pierre-Jean Rémy (Préfacier, etc.)Annie Joly-Segalen (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070320707
154 pages
Gallimard (07/12/1973)
3.93/5   72 notes
Résumé :
Dans chaque civilisation, les pierres parlent une langue singulière.
Enfant d'un pays de menhirs, Segalen découvre au fil de ses séjours chinois, entre 1909 et 1914, les pierres écrites. Il en conçoit le projet de Stèles : non pas un recueil de traductions, mais plutôt une transposition, un détournement de la vertu pierreuse (pétrifiée, pétrifiante...) des mots au profit d'un monde de sensations et de visions qui lui est propre. La présente édition se propose... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Dans ses errances, Rimbaud se disait « pressé de trouver le lieu et la formule ». Avec les stèles, Segalen a trouvé un lieu (la Chine) et des formules hiératiques inspirées des écrits consignés dans la pierre, à l'attention des passants sur les grandes routes de l'empire du Milieu.

La surface limitée de ces pierres imaginaires contraint le poète à une relative brièveté, et sa voix se fait grave, en même temps qu'elle grave en elles des proclamations lapidaires, comme autant d'étapes d'une longue route exotique :

« Garde bien d'élire un asile. Ne crois pas à la vertu d'une vertu durable : romps-la de quelque forte épice qui brûle et morde et donne un goût même à la fadeur.

Ainsi, sans arrêt ni faux pas, sans licol et sans étable, sans mérites ni peine, tu parviendras non point, ami, au marais des joies immortelles,

Mais aux remous pleins d'ivresses du grand fleuve Diversité. »

L'orientation et l'espacement des stèles module le rythme de cette marche poétique, en suivant la sensibilité de Segalen. Si bien que l'empire du Milieu (point de rencontre de la diversité par excellence), n'est peut-être plus un lieu aussi précis qu'on pourrait le croire, car l'imagination le fait dévier hors de la Chine, vers les préoccupations plus occidentales du poète, entre critique des idoles de la religion et de la Raison (dans le très ironique « Hommage à la Raison »), et descriptions romantiques des rapports humains, où se glisse la figure d'un monstre suceur de sang (« Vampire »).

La dernière partie est celle qui m'a le plus intéressé. Les stèles tombées face contre terre s'y lisent dans une froideur intérieure, comparée à une cité interdite. le voyage semble s'interrompre, le temps d'un « Moment » propice à l'introspection. « Froide comme glace sont les sources les plus secrètes de l'esprit », disait Nietzsche. La froideur de ce repli intérieur recherche un équilibre avec la chaleur de l'extérieur, restituant la tension permanente entre imaginaire et réel dans la poétique de Segalen :

« Mais fondent les eaux dures, déborde la vie, vienne le torrent dévastateur plutôt que la Connaissance ! »
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Après nous avoir enseigné où trouver les Stèles, au bord des routes telles des bornes kilométriques hors limites, dans les temples ou dans les tombeaux, comme monuments funéraires,
Après nous avoir renseigné sur leur fonction politique, sociale, religieuse, funéraire, sacrificielle, intime, le poète grave ses Caractères qui n'expriment pas.

Ils signifient. Ils sont. Les poèmes se révèlent pensées de la pierre, car la table aveugle des Caractères a l'inexistence ou l'horreur d'un visage sans traits. Parfois, la stèle est percée d'un trou à travers lequel le ciel parvient au regard du lecteur voyeur voyageur, faisant office de cadran solaire, de repère ombre-lumière et l'éclairage vient selon l'orientation de la stèle.

Face au midi, le Fils du Ciel, l'Empereur Segalen promulgue ses décrets, sans marque de règne et se creuse son tombeau, face au nord, l'amitié réchauffe et refroidit, les Stèles orientées se dirigent à l'est vers l'amour, alors que les Stèles occidentées, loin d'être occidentales, s'accidentent, ensanglantées. Il en existe encore d'indifférentes, rencontrées au hasard des chemins, mais il y a à la fin les Stèles du Milieu :

Certaines, qui ne regardent ni le sud ni le nord, ni l'est ni l'occident, ni aucun des points interlopes, désignent le lieu par excellence, le milieu. Comme les dalles renversées ou les voûtes gravées dans la face invisible, elles proposent leurs signes à la terre qu'elles pressent d'un sceau. Ce sont les décrets d'un autre empire, et singulier. On les subit ou on les récuse, sans commentaires ni gloses inutiles, — d'ailleurs sans confronter jamais le texte véritable : seulement les empreintes qu'on lui dérobe.

Des Stèles aux Caractères indéchiffrables, des Stèles renversées comme lettres mortes.
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Pour bien faire, le recueil des Stèles de Segalen devrait être un beau volume où chaque poème, selon le voeu de l'auteur, serait entouré d'un trait noir et figurerait en entier sur une seule page. Il est clair que les éditions de poche ne peuvent donner au lecteur l'impression et l'imitation de stèle que le poète a voulu créer dans sa première édition, supervisée par lui, en Orient en 1912.

Ce recueil de proses rythmées en versets est divisé en parties selon l'orientation géographique des stèles : il y a tous les points cardinaux chinois, plus "le bord du chemin", la direction capricieuse et hasardeuse de l'humain vagabond, insoucieux des grandes orientations symboliques de la Chine.

Chaque stèle est précédée d'une épigraphe en chinois, qui la place sous le signe particulier d'une pensée, d'un personnage, d'une chose. Pourtant, malgré cet habillage asiatique, c'est un recueil de poésie française où s'exprime le génie d'un poète mort trop tôt, dans la fleur de son talent. le ton est celui de l'écrit officiel, un peu sentencieux, mais derrière la citation exotique se trouve un poète.
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Voilà un recueil de poèmes plein de charme et de connivence avec lequel j'avais rendez-vous depuis vingt-sept ans : enfin ! Les sections "Stèles du Nord" sur l'amitié et "Stèles orientées" sur l'amour, ou quand même plus nettement sur "la jeune fille" m'avaient particulièrement attirée. Je viens de comprendre la réponse à l'énigme du poème "Empreinte" : c'est ingénieux, formidable ! Les "Stèles face au midi" m'ont surprise par leur lien avec le christianisme et la figure du Christ. Les "Stèles du bord du chemin" m'ont paru justement être différentes dans le sens où elles parlaient de proximité et non pas d'éloignement et j'ai particulièrement aimé "Les Mauvais artisans"
Cf. note de lecture complète sur mon blog.
Lien : http://aufildesimages.canalb..
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Inspiré par la Chine, Victor Segalen livre ses réflexions poétiques sous forme de stèles. Gravées dans la pierre, elles sont plutôt opaques, et manquent de transparence à mon goût…
J'aurais aimé aimer Victor Segalen, ce voisin voyageur ; mais son vaisseau de pierre ne m'a, hélas, pas fait naviguer.
Challenge Poévie
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Citations et extraits (87) Voir plus Ajouter une citation
Hommage à la Raison

J'enviais la Raison des hommes, qu'ils proclament peu faillible, et pour en mesurer le bout, j'ai proposé : Le Dragon a tous les pouvoirs ; en même temps il est long et court, deux et un, absent et ici, - j'attendais un grand rire parmi les hommes, - mais,
Ils ont cru.
J'ai proclamé ensuite par Édit : que le Ciel inconnaissable avait crevé jadis comme une fleur étoilée, lançant au fond du Grand Vide ses pollens d'étés, de lunes, de soleils et de moments,
Ils ont fait un calendrier.
J'ai décidé que tous les hommnes sont d'un prix équivalent et d'une ardeur égale, - inestimables, – et qu'il vaut mieux tuer le meilleur de ses chameaux de bât que le chamelier boiteux qui se traîne. J'espérais un dénégateur, - mais,
Ils ont dit oui.
J'ai fait alors afficher par tout l'Empire que celui-ci n'existait plus, et que le peuple, désormais, Souverain, avait à se paître lui-même, les marques de gloire, abolies, reprenant au chiffre un :
Ils sont répartis de zéro.

Alors, rendant grâce à leur confiance, et service à leur crédulité, j'ai promulgué : Honorez les hommes dans l'homme et le reste en sa diversité.
Et c'est alors qu'ils m'ont qualifié de rêveur, de traitre, de régent dépossédé par le Ciel de sa vertu et de son trône.
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Victor Segalen nous recommande non seulement un art de voyager, mais aussi un art de vivre :

Conseils au bon voyageur

Ville au bout de la route et route prolongeant la ville : ne choisis donc pas l'une ou l'autre, mais l'une et l'autre bien alternées.

Montagne encerclant ton regard le rabat et le contient que la plaine ronde libère. Aime à sauter roches et marches, mais caresse les dalles où le pied pose bien à plat.

Repose-toi du son dans le silence, et, du silence, daigne revenir au son. Seul si tu peux, si tu sais être seul, déverse-toi parfois jusqu'à la foule.

Garde bien d'élire un asile. Ne crois pas à la vertu d'une vertu durable : romps-la quelque forte épice qui brûle et morde et donne un goût même à la fadeur.

Ainsi, sans arrêt ni faux pas, sans licol et sans étable, sans mérites ni peine, tu parviendras non point, ami, au marais des joies immortelles,

Mais aux remous pleins d'ivresses du grand fleuve Diversité.
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Pour lui complaire


A lui complaire j'ai vécu ma vie. Touchant au bout extrême de mes forces, je cherche encore à imaginer quoi pour lui complaire :

Elle aime à déchirer la soie : je lui donnerai cent pieds de tissu sonore. Mais ce cri n'est plus assez neuf.

Elle aime à voir couler le vin et des gens qui s'enivrent : mais le vin n'est pas assez âcre et ces vapeurs ne l'étourdissent plus.



Pour lui complaire, je tendrai mon âme usée : déchirée, elle crissera sous ses doigts.

Et je répandrai mon sang comme une boisson dans une outre :

Un sourire, alors, sur moi se penchera.
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[ Trahison fidèle ]

Tu as écrit : « Me voici, fidèle à l’écho de ta voix, taciturne, inexprimé ? » Je sais ton âme tendue juste au gré des soies chantantes de mon luth :

C’est pour toi seul que je joue.

Écoute en abandon et le son et l’ombre du son dans la conque de la mer où tout plonge. Ne dis pas qu’il se pourrait qu’un jour tu entendisses moins délicatement !

Ne le dis pas. Car j’affirme alors, détourné de toi, chercher ailleurs qu’en toi-même le réponses révélé par toi. Et j’irai, criant aux quatre espaces :

Tu m’as entendu, tu m’as connu, je ne puis pas vivre dans le silence. Même auprès de cet autre que voici, c’est encore,

C’est pour toi seul que je joue.
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Nom caché

Le véritable Nom n’est pas celui qui dore les portiques, illustre les actes ; ni que le peuple mâche de dépit ;

Le véritable Nom n’est point lu dans le Palais même, ni aux jardins ni aux grottes, mais demeure caché par les eaux sous la voûte de l’aqueduc où je m’abreuve.

Seulement dans la très grande sécheresse, quand l’hiver crépite sans flux, quand les sources, basses à l’extrême, s’encoquillent dans leurs glaces,

Quand le vide est au cœur du souterrain et dans le souterrain du cœur, — où le sang même ne roule plus, — sous la voûte alors accessible se peut recueillir le Nom.

Mais fondent les eaux dures, déborde la vie, vienne le torrent dévastateur plutôt que la Connaissance !

p.134
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Saviez qu'en chinois il n'existe pas d'équivalent au mot français « impossible » ? Et savez-vous quel grand roman raconte qu'impossible n'est pas chinois ?
« René Leys », de Victor Segalen, c'est à lire en poche chez Folio.
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