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Critique de Henri-l-oiseleur


Simon Leys notait ceci, à propos de Segalen et des "écrivains-voyageurs" : "Accomplir une oeuvre et accomplir une vie semblent parfois deux entreprises mutuellement incompatibles. Sinon, comment expliquer que tant d'écrivains admirables soient de pauvres types, et que tant d'hommes admirables soient de pauvres écrivains ? C'est que les grands artistes, dirait-on, créent contre eux-mêmes, ils réalisent leur oeuvre au prix et à rebours de leur existence. Leur vie devient l'envers de leur création, ce n'en est plus que le résidu minable, quelquefois même malpropre. Il vaut donc mieux ne pas y aller voir de trop près (Proust, par exemple, nous avait bien mis en garde contre ce genre de curiosité...)" (Ecrits sur la Chine, p. 758, L'exotisme de Segalen).

Dans cette optique, la lecture de cette correspondance choisie de Victor Segalen fait apparaître l'image d'un "vivant fort", qui passe infiniment les catégories contemporaines d'écrivain voyageur, ou autres. Certes, il voyagea, comme médecin militaire de marine, à Tahiti, et trois fois en Chine (au début du XX°s, le voyage de la Chine n'etait pas une mince affaire). Et il fit de ses voyages la matière de ses livres, mais en réaction contre l'exotisme facile et colonial de Pierre Loti, ou érotico-moralisateur de Gide, il fit de la Chine la substance même de sa poésie et de sa pensée, non un prétexte à rêveries touristiques. Il opère une synthèse entre sa personnalité de poète symboliste français, ami de Debussy, et l'apport artistique de la Chine ancienne, de "sa" Chine. La correspondance révèle l'évolution d'un grand poète et prosateur, et enfin d'un penseur qui s'est colleté à la réalité, à l'histoire, à l'humanité chinoises pour nourrir sa réflexion esthétique générale et ses projets sinologiques. C'est enfin un grand amoureux, de sa femme et de la vie, et un ami de qualité qui s'exprime dans ces lettres. Cette correspondance choisie est la meilleure des biographies, et aussi la meilleure des introductions à une oeuvre que la mort prématurée de l'auteur a laissée pour une grande part en chantier. Restent deux beaux romans et deux recueils de poèmes complets (dont la qualité parfois se discute, concernant "Odes suivies de Tibet") pour nous laisser imaginer ce qu'elle aurait pu être. Les rares lettres à Paul Claudel permettent de mesurer la différence entre deux poètes également marqués par le grand Ailleurs de l'Extrême-Orient. En un temps de morne uniformisation, ce genre de lecture peut renouveler la notion si usée d'exotisme.
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