toute femme en naissant s'expose à un destin mammaire inattendu.
Des critères et des modes existaient, qui évoluaient au gré des époques, des cultures et des croyances, donnant ici au sein une importance et, là, un rôle de troisième ordre, mais jamais ces critères n'avaient empêché quiconque d'accomplir son destin.
- Les seins sont comme les fleurs, me dit-elle du haut de sa science. Si tu ne leur offres rien à boire, ils se fanent. Laisse-les mourir de soif.
Au nom de la ballerine, du chausson pointe et de la cinquième position. Amen
Car je voulais être ballerine. Et les seins sont à la ballerine ce que la surdité est au musicien : Une malédiction.
Contrairement à l'idée répandue, improviser ne consiste pas à faire n'importe quoi. Si elle a bien pour but de rompre avec les code et les alphabets, l'improvisation s'organise autour de tâches et de contraintes définies. Il lui faut un cadre, sans quoi la liberté ramène aux schémas connus.
Davantage que mes carences en potassium ce sont celles en histoire et en géographie, en langues vivantes et mortes, qui préoccupent mes parents. Je viens de redoubler. J'aimerais pour ma défense expliquer le peu d'intérêt que j'accorde à l'étude et aux livres, à la littérature en particulier. Il tient, je veux le croire, à ce qu'il n'existe aucune danseuse héroïne de roman, ou du moins d'un roman jugé digne du programme scolaire. Des chasseurs de lions, ça oui, il y en a. Des explorateurs, des aviateurs, des marins, des épouses trompant l'ennui, des nobles appauvris, des bourgeois arrivés, d'ambitieux chefs de guerre, de courageux commerçants, des rêveurs solitaires, des bigotes, des femmes insoumises prenant leur bain à quatre heures de l'après-midi... Mais des danseuses ? Aucune. Voilà pourquoi les livres me tombent des mains. Par ignorance ou mauvaise foi, je perçois aucunement les richesses infinies de la lecture. Peu concernée par la justice sociale, j'utilise Les Misérables pour caler le pied trop court de ma table d'étude. Seules Antigone et Anna Karénine parviennent à m'arracher des larmes, par un destin aussi tragique que celui de Giselle et de Coppélia.
J'ai rencontré un garçon. Josh appartient à un collectif d'artistes installés dans East Village. Il est à la fois musicien et danseur et possède de solides bases techniques pour quelqu'un qui pratique la danse depuis seulement trois ans. Le fait qu'il soit venu à la danse sur le tard suffit à m'impressionner, moi qui ai ébauché mes premiers pas de bourrée dans la paroi utérine pour n'être encore nulle part à vingt ans.
Il ne m'aura fallu que quelques minutes pour apprendre que, au pays des libellules de l'espace, il faut savoir défendre son territoire.
Notre beauté ne se trouvait nulle part mieux restituée que dans la peinture classique. Nous nous pâmions devant nos aïeuls, seins laiteux de l'école flamande, lobes à la peau transparente et bleutée de l'école italienne, madones allaitant, allégories, déesses, dames alanguies dont la réalité nous apparaissait plus réelle que la nôtre. Nous nous abandonnâmes aux délices du bain avec Renoir, au confort d'une couchette avec Ingres, à un déjeuner sur l'herbe mis en lumière par Manet. Nous voyageâmes jusqu'à Alger avec Delacroix, atteignîmes les confins de la Polynésie avec Gauguin. Pour rien au monde nous n'aurions manqué un cours d'histoire de l'art.