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Critique de Phil56


Merci à l'opération "Masse Critique" de Babelio ainsi qu'à la maison d'édition " Signes et Balises" de m'avoir permis de découvrir ce très beau livre.
Précisons toutefois que celui-ci ne pourra vraiment intéresser que celles et ceux qui connaissent déjà Victor Serge de par son oeuvre littéraire et/ou son parcours de "révolutionnaire".
LE CONTEXTE :
Après l'invasion de la France en mai-juin 1940, Victor Serge (VS) se réfugie à Marseille avec sa nouvelle compagne (depuis 1937) Laurette Séjourné (LS) (de 20 ans sa cadette). Ils séjournent, entre autres, à la fameuse villa "Air Bel" : conseil de lecture sur cette période historique spécifique : Transit d'Anna Seghers et surtout Planète sans visa de Jean Malaquais dans lequel VS est très clairement identifiable. Grâce à l'organisation états-unienne CAS (Comité Américain de Secours), il obtient un visa pour le Mexique et quitte Marseille le 24/03/41 à bord du cargo "Capitaine Paul Lemerle" accompagné de son seul fils Vladimir (20 ans) ainsi que d'André Breton et son épouse, Claude Lévi-Strauss, Wifredo Lam,... Commence alors une abondante et erratique correspondance entre VS et LS (du 29/03/41 au 03/01/42).
UN PETIT REGRET :
Hormis cinq lettres (du 01/04/41 au 30/08/41), plus rien ne nous est proposé de la correspondance ultérieure de LS à VS (VS en aurait-il sciemment décidé la destruction ?).
APPRÉCIATION GLOBALE :
Acteur et témoin de tragédies historiques et intimes accablantes, Victor Serge se trouve à nouveau isolé, humble fétu de paille, minuscule particule humaine, à affronter toutes les adversités avec pour unique objectif : retrouver à ses côtés (au Mexique) sa seule raison d'être, de vivre encore - Laurette Séjourné.
ANALYSE PLUS APPROFONDIE :
1) Pour peu que l'on puisse valablement en juger, les cinq lettres, à l'écriture fort élégante, de LS à VS nous révèlent une jeune femme (30 ans) d'une grande sensibilité :
a) très fins portraits du microcosme de la villa Air Bel (Max Ernst, Jean Malaquais, Jacques Hérold, Consuelo de Saint-Exupéry,...) avec son lot d'intrigues amoureuses, de dépressions contenues, de création artistique et intellectuelle plus ou moins en rade, de jalousies et connivences propres à un monde clos par la force des choses ;
b) propos amoureux très pudiques mais ardents ;
c) attention toute "maternelle" et manifestement sincère envers les enfants de VS ( Vlady - 20 ans - qui est parti avec lui et Jeannine - 6 ans - qui est restée avec elle en France) sans oublier son fils (d'un premier mariage) René - 6 ans qu'elle souhaite ardemment emmener avec elle.
2) le courrier de VS à LS, au style de plus en plus basique, administratif voire télégraphique (à la notable exception des descriptions des paysages qu'il découvre dont la beauté le fascine), témoigne crescendo de menus détails de la vie quotidienne, des démarches aussi improductives qu'épuisantes relatives à l'obtention des visas (de sortie, de transit, ...), de son cafard, de son anxiété à être perpétuellement en butte à une bureaucratie inhumaine et tatillonne, de ses doutes, de sa culpabilité d'avoir abandonné Laurette et Jeannine et donc des affres de la séparation, de l'éloignement.
Sa phraséologie "sentimentale" est, quant à elle, peu inspirée, ultra répétitive et fait généralement peu de cas des enfants : le sien (Jeannine) et celui de Laurette (René). Les allusions à son fils Vlady sont de plus en plus laconiques. Une distance, que VS n'explicite pas, s'est manifestement creusée entre le père et le fils (ce dernier, 21 ans, se mariant au Mexique sans même lui en avoir parlé au préalable !).
Par ailleurs (censure oblige ?), il est fort peu question de considérations politiques, philosophiques ou idéologiques, simplement quelques évocations d'activités d'écriture plus ou moins intenses en fonction de son moral ou état physique.
Les lettres en provenance de France se faisant plus rares (trop aux yeux de VS : 3 en un mois), la tonalité du courrier à LS se transforme peu à peu à compter de début 10/41 jusqu'au dernier envoi du 03/01/42.
Je cite, en vrac, quelques éléments révélateurs :
- récurrences multiples à la possession, au profond désir d'aimer un être conforme à ses attentes, à ses besoins, à sa nécessité vitale ;
- exprime fréquemment la crainte que la séparation prolongée n'émousse les sentiments de LS à son égard, ne la détache de lui ;
- certaines lettres sont mêmes clairement culpabilisantes pour LS (03/10/41). Ses injonctions, ses directives se font de plus en plus pressantes, exigeantes, incisives ;
- apitoiement sur son sort, son état (terriblement fatigué, nerveusement usé, besoin de reprendre haleine, exaspéré, consterné, angoissé,...) ;
- propos très durs sur l'indifférence (présumée ?) d'André Breton à son égard.
Tout cela crée un certain malaise.
S'il est tout à fait légitime de penser que cette insupportable attente induise un état sans doute proche d'une profonde dépression nerveuse (paniques de solitude), il est, par ailleurs, tout aussi pertinent de s'interroger sur la nature profonde de cette relation.
Je ne suis ni psychiatre, ni psychologue mais cette stratégie infantilisante, cette façon de s'adresser à LS (quand même trentenaire) comme à une femme-enfant, me donnent à voir un VS excessivement possessif, ne pensant qu'à sa petite personne, paraissant, qui plus est, peu réceptif (ses arguments "raisonnables" ne m'ont pas entièrement convaincu) à la volonté acharnée de LS d'emmener également avec elle son fils René (6 ans) qu'elle devra laisser, in fine, chez ses grands-parents en Italie. Pour la petite histoire, le contact avec lui ne sera rétabli, par courrier, qu'en 1946.
Comme vous avez pu le constater, je croyais bien connaître Victor Serge, ayant beaucoup lu de et sur lui.
Force est de reconnaître que tel n'était pas le cas, ce qui ne diminue en rien le profond respect intellectuel et politique que j'éprouve pour lui.
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