" Elle savait cela depuis toujours, bien au delà de toute mémoire: il faut parler aux arbres,aux plantes et aux bêtes pour qu'ils vivent bien.
Comme à tous les êtres vivants . "
L'école normale ne vous incline pas à croire à quelque chose après la mort. Ni les épreuves de l'enfance, ni la dureté de la vie.
"Pour toute la nuit bue
Pour la grille des routes
Pour la fenêtre ouverte pour un front découvert
Je te l'ai dit pour tes pensées pour tes paroles
Toute caresse toute confiance se survivent . "
Paul Éluard. "
Elle avait compris ce jour-là qu’il existait autre chose que les murs de neige et les traces sans cesse effacées, que la vie existait ailleurs et que, sans doute, elle était plus belle, plus grande que celle que l’on menait sur cet inaccessible plateau.
Elle savait cela depuis toujours, bien au-delà de toute mémoire : il faut parler aux arbres, aux plantes et aux bêtes pour qu'ils vivent bien. Comme à tous les êtres vivants. Elle était bien placée pour le savoir, elle, à qui nul ne parlait plus depuis longtemps, du moins pas autant qu'elle l'aurait souhaité. Alors elle leur parlait quand elle passait près d'eux, et elle allait mieux, elle se sentait vivre, elle avait appris à être heureuse de quelques mots.
Aussi, comme elle ne pouvait pas parler,Blanche écrivait.Dans un beau cahier,avec des pleins et des délies,comme elle avait appris,il y avait si longtemps,à l'École normale. Elle y racontait sa vie,persuadée qu'un jour quelqu'un lirait ces lignes, qu'il n'étiat pas possible qu'une vie comme la sienne demeurât secrète,méconnue. Il ne s'agissait pas d'orgueil,non. Il s'agissait d'exister encore,de ne pas laisser mourir, de faire confiance au peu de vie auquel elle avait droit,sans deranger personne. Ce soir aussi, elle allait écrire. Un peu. Un tout petit peu,parce-que les étoiles brillaient trop au dessus de la montagne.
(p.9)
Elle relut ce poème qu'elle connaissait par cœur :
" Soupirs des soirs et des matins
Sur des nappes fidèles
Aux carreaux verts et rouges
La bouteille de vin
Les mouches bleues
La couronne de pain
L'air épais casse entre les mains. "
" Ma pauvre maman, tu ne changeras jamais. "
Pourquoi devait-elle changer ? Sa vie était une, elle se refermait sur elle-même comme un cercle parfait. Elle l'avait voulue ainsi. Une vie consacrée aux enfants des écoles, à un mari, à des petits bonheurs, et beaucoup de courage. Toujours.
"Quitte la forêt, disait-il à son fils. Va parmi les hommes, tâche de leur ressembler. »
Tout est possible dans ce monde, le pire comme le meilleur. Il faut tenter de se battre contre le pire et tâcher de bâtir le meilleur. (p.118)