— Comment avez-vous pu le loger, si vous n’aviez pas de chambre ?
Maigret connaissait la réponse, mais il voulait la lui faire dire. Dans ces hôtels-là, on réserve le plus souvent les chambres du premier étage pour les couples de rencontre, qui montent pour un moment ou pour une heure.
— Il y a toujours les chambres du « casuel », répondit-elle, employant le terme consacré.
Maigret avait une façon à lui de monter les deux étages du Quai des Orfèvres, l'air encore assez indifférent au début, dans le bas de la cage d'escalier, là où la lumière du dehors arrivait presque pure, puis plus préoccupé à mesure qu'il pénétrait dans la grisaille di vieil immeuble, comme si les soucis du bureau l'imprégnaient à mesure qu'il s'en approchait.
[Georges SIMENON, "L'amie de Madame Maigret", 1950, Les Presses de la Cité, Paris - chapitre 2. "Les soucis du Grand Turenne"]
Il paraissait anxieux de partir et insistait pour savoir s’il n’aurait pas d’ennuis avec le faux passeport.
— Pour quel pays ?
— Les États-Unis. Ce sont les plus difficiles à imiter, à cause de certaines marques spéciales qui sont de convention entre les consuls et les services de l’immigration.
Plus on fouillait sa vie et plus on constatait qu’elle était sans histoire. Les livres de sa bibliothèque, examinés un à un, étaient des livres choisis parmi les meilleurs auteurs du monde entier, par un homme intelligent, particulièrement cultivé. Non seulement il les lisait et les relisait, mais il annotait en marge.
Je suis presque sûre qu’il portait un vêtement sombre, mais plutôt gris que bleu. À vivre dans la lumière artificielle, on ne fait plus attention aux couleurs.
— Il vous aime ?
— Je crois que oui.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas. Peut-être parce que je l’aime.
— La plupart des hommes travaillent dans un but déterminé. Les uns ont envie d’une maison de campagne, d’autres rêvent de prendre leur retraite, d’autres se dévouent pour leurs enfants.
Et voici le second visage de Mme Maigret, celui de la femme qui ose : Wink
Citation :
[...] ... Il entra, traversa la salle-à-manger où les couverts n'étaient pas mis et vit enfin Mme Maigret, en combinaison, occupée à retirer ses bas.
Cela lui ressemblait si peu qu'il ne trouva rien à dire et qu'elle éclata de rire en voyant ses gros yeux ronds.
- "Tu es fâché, Maigret."
Il y avait dans sa voix une bonne humeur presque agressive qu'il ne lui connaissait pas, et il voyait sur le lit sa meilleure robe, son chapeau des grands jours.
- "Il va falloir que tu te contentes d'un dîner froid. Figure-toi que j'ai été tellement occupée que je n'ai eu le temps de rien préparer. D'ailleurs, c'est si rare que tu rentres pour les repas, ces jours-ci !"
Et, assise dans la bergère, elle se massait les pieds avec un soupir de satisfaction.
- "Je crois que je n'ai jamais autant marché de ma vie !"
Il restait là, en pardessus, son chapeau mouillé sur la tête, à la regarder et à attendre, et elle le laissait languir exprès.
- "J'ai commencé par les grands magasins bien que je fusse à peu près certaine que c'était inutile. Mais on ne sait jamais ; et je ne voulais pas me reprocher par la suite ma négligence. Puis j'ai fait toute la rue La Fayette, je suis remontée par la rue Notre-Dame-De-Lorette, et je me suis promenée rue Blanche, rue de Clichy. Je suis redescendue vers l'Opéra, tout cela à pied, même quand il a commencé à pleuvoir. Il faut te dire qu'hier, sans t'en parler, j'avais déjà "fait" le quartier des Ternes et les Champs-Elysées.
"Par acquis de conscience aussi, car je me doutais que de ce côté-là c'était trop cher."
Il prononçait enfin la phrase qu'elle attendait, qu'elle essayait de provoquer depuis un bon moment.
- "Qu'est-ce que tu cherchais ?
- Le chapeau, tiens ! Tu n'avais pas compris ? Cela me tracassait, cette histoire-là. J'ai pensé que ce n'était pas un travail pour des hommes. Un tailleur, c'est un tailleur, surtout un tailleur bleu. Mais un chapeau, c'est différent, et j'avais bien regardé celui-là. Les chapeaux blancs sont à la mode depuis quelques semaines. Seulement un chapeau ne ressemble jamais tout à fait à un autre chapeau. Tu comprends ? Cela ne t'ennuie pas de manger froid ? J'ai apporté des charcuteries de la maison italienne, du jambon de Parme, des cèpes au vinaigre et un tas de petits hors-d'oeuvre préparés.
- Le chapeau ?
- Cela t'intéresse, Maigret ? En attendant, le tien est en train d'égoutter sur le tapis. Tu ferais mieux de l'enlever." ... [...]
— Pour moi, mars reste le plus beau mois de Paris, en dépit des giboulées, disait Mme Maigret. Certains préfèrent mai ou juin, mais mars a tellement plus de fraîcheur.
Ils entendirent les orgues électriques, virent l’orchestre jaillir du sol sur une plate-forme, tandis qu’un rideau se transformait en une sorte de coucher de soleil synthétique. Ce n’est qu’après les dessins animés que Mme Maigret comprit. On venait de projeter des extraits du prochain film, puis de courtes bandes publicitaires pour un déjeuner sucré et des meubles à crédit.