— Vous accusez et c’est à vous de faire la preuve.
Maigret connaissait, depuis la veille au soir, le contenu de la valise, mais il en fit à nouveau l’inventaire, avec le même plaisir qu’un enfant étale ses cadeaux de Noël.
— Souvent, oui.
— Une fois par semaine, par exemple ? Ou par quinzaine ?
— C’est possible. Je ne veux pas inventer, car je ne connais pas la musique que les avocats me feront le jour où l’affaire passera aux assises. Il venait souvent, voilà ce que je dis.
Il n’était pas en train, mécontent de lui et de la tournure de l’enquête. Il en voulait particulièrement à Philippe Liotard, qui l’avait obligé à abandonner ses méthodes habituelles et à mettre, dès le début, tous les services en mouvement.
Maintenant, trop de gens s’occupaient de l’affaire, qu’il ne pouvait contrôler personnellement, et celle-ci se compliquait comme à plaisir, de nouveaux personnages surgissaient, dont il ne savait à peu près rien et dont il était incapable de deviner le rôle.
Par deux fois, il avait eu envie de reprendre l’enquête à son début, tout seul, lentement, pesamment, selon sa méthode favorite, mais ce n’était plus possible, la machine était en marche et il n’y avait plus moyen de l’arrêter.
Le visage habituel de Mme Maigret, celui de la "bonne grosse mémère", comme le dit Simenon, occupée exclusivement de sa cuisine, de son tricot et de son ménage :
Citation :
[...] ... C'était une situation ridicule. Maigret se moquerait encore d'elle. Tout à l'heure, elle téléphonerait au dentiste pour s'excuser. Oserait-elle lui raconter ce qui s'était passé ?
Elle avait chaud soudain, parce que sa nervosité lui mettait le sang à la peau.
- "Comment t'appelle-t-on ?" demanda-t-elle à l'enfant.
Mais il se contenta de la regarder de ses yeux sombres sans répondre.
- "Tu sais où tu habites ?"
Il ne l'écoutait pas. L'idée était déjà venue à Mme Maigret qu'il ne comprenait pas le français.
- "Pardon, monsieur. Pourriez-vous me dire l'heure, s'il vous plaît ?
- Midi moins vingt-deux, madame."
La maman ne revenait pas. A midi, quand les sirènes hurlèrent dans le quartier et que des maçons envahirent un bar voisin, elle n'était toujours pas là.
Le docteur Floresco [= le dentiste] sortit de l'immeuble et se mit au volant d'une petite auto noire sans qu'elle osât quitter le gamin pour aller s'excuser.
Ce qui la tracassait à présent, c'était sa poule qui était au feu. Maigret lui avait annoncé qu'il rentrerait plus que probablement déjeuner vers une heure.
Ferait-elle mieux d'avertir la police ? Pour cela encore, il fallait s'éloigner du square. Si elle emmenait l'enfant et que la mère revienne entretemps, celle-ci serait folle d'inquiétude. Dieu sait où elle courrait à son tour et où elles finiraient par se retrouver ! Elle ne pouvait pas non plus laisser un bambin de deux ans seul au milieu du square, à deux pas des autobus et des autos qui passaient sans répit.
- "Pardon, monsieur, voudriez-vous me dire l'heure qu'il est ?
- Midi et demi."
La poule commençait certainement à brûler. Maigret allait rentrer. Ce serait la première fois, en tant d'années de mariage, qu'il ne la trouverait pas à la maison. .... [...]
Il n’y avait plus que Maigret debout, face à la fenêtre sur laquelle roulaient des gouttelettes de pluie. La Seine était grise comme le ciel ; les péniches, les toits, les trottoirs avaient des reflets mouillés.
Pourquoi ? Mais oui ! Parce que les clowns ont l’habitude d’entrer en piste avec une valise.
— Ce sont plutôt les augustes.
— Auguste ou clown, c’est la même chose. On va boire le coup ?
Il était jeune et prenait un air important pour se vieillir, affectant une assurance qui n’était pas de son âge.
Assez joli garçon, au teint mat et aux cheveux noirs, il avait de longues narines qui frémissaient parfois, et il regardait les gens dans les yeux comme s’il était décidé à leur faire baisser le regard.
Après Les Caves de Bourgogne, c’était l’échoppe d’un cordonnier qui s’appelait M. Bousquet.
Celui-ci parlait trop, au contraire, mais il avait le défaut de ne pas dire la même chose à tout le monde. Cela dépendait du moment de la journée auquel on l’interrogeait, du nombre d’apéritifs et de petits verres qu’il était allé boire à un des trois coins, indifféremment
La poule était au feu, avec une belle carotte rouge, un gros oignon et un bouquet de persil dont les queues dépassaient.