Et papa, lui qui aurait tant voulu vivre ! Tu comprends ça, toi, le mot vivre ? Pas vivre comme toi, pas vivre comme moi. Je ne prétends pas que j'ai vécu. Ce n'est pas pour rien que je suis de la famille. Vivre, simplement. Vivre ! C'est la seule chose qu'on ne nous ait pas apprise, le grand tabou, l'indécence des indécences. Papa, lui, savait ce que c'était. Il avait des dispositions. Si tu avais vu ses yeux quand on rencontrait dans la rue une belle fille au corsage rebondi ! Et si tu avais vu ceux de maman ! Car elle flairait d'une lieue toute tentative de vie. Un coup d'œil, rien qu'un, et papa s'éteignait.
Son regard errant quelque part sur le blanc des murs et du plafond, elle questionnait d'une voix sans accent, comme un récitatif : - M. Maghin est toujours content de ton travail ? Il ne s'y attendait pas. Plus exactement la voix mettait un certain temps à l'atteindre, parce qu'il était déjà dans son brouillard. Cependant, tant qu'il était près d'elle, à l'hôpital, il restait sur ses gardes. Juste un instant de flottement, un froncement imperceptible des sourcils, et il avait reconnu un de ses pièges. - M. Maghin n'a pas pu me dire s'il est content ou non, puisqu'il n'est pas à Paris.