L'inspecteur Cadavre
Maintes fois, à la PJ on l'avait plaisanté sur le Maigret de ces moments-là. Il savait qu'on en parlait derrière son dos aussi.
Un Maigret qui semblait se gonfler outre mesure, devenir épais et lourd, comme insensible, comme aveugle et muet, un Maigret que le passant ou l'interlocuteur non averti eussent pu prendre pour un gros imbécile ou pour un gros endormi.
—En somme, lui avait dit quelqu'un qui se piquait de psychologie, vous concentrez vos pensées?
Et lui avait répondu avec une sincérité comique:
—Je ne pense jamais.
C'était presque vrai. Ainsi, à présent debout dans la rue humide et froide, il ne pensait pas. Il ne suivait aucune idée. [...]
—Il y a un moment, au cours d'une enquête, racontait Lucas, où le patron se gonfle soudain comme une éponge. On dirait qu'il fait le plein.
Mais le plein de quoi? Pour l'instant par exemple il faisait le plein de brouillard et de nuit. Ce n'était plus un village quelconque qui l'entourait. Il n'était pas lui-même un monsieur quelconque que le hasard avait jeté dans ce décor.
Il était quelque chose comme Dieu le Père. Ce village, il le connaissait comme s'il y avait toujours vécu, ou mieux, comme s'il en était le créateur. Toutes les petites maisons basses tapies dans le noir, il en savait la vie, il croyait voir hommes et femmes se retourner dans la moiteur de leur lit, il suivait le fil de leurs rêves, une petite lumière lui révélait un bébé à qui une maman à demi assoupie tendait un biberon tiède, il sentait les lancinements de la malade et prévoyait les réveils en sursaut de l'épicière somnambule.
Il était au café, autour des tables brunes et polies, avec les hommes qui maniaient des cartes crasseuses et comptaient des jetons jaunes et rouges.
Il etait dans la chambre de Geneviève. Il souffrait avec elle dans son orgueil d'amante. Car elle souffrait dans son orgueil d'amante. Elle venait de vivre, sans doute, la journée la plus pénible de sa vie, et qui sait si elle ne guettait pas le retour de Maigret pour se glisser une fois encore dans sa chambre?
Mme Naud ne dormait pas. Elle était couchée, mais elle ne dormait pas, et, dans l'obscurité de sa chambre, elle guettait les bruits de la maison, se demandant pourquoi Maigret ne rentrait pas, imaginant son mari, dans le salon, qui se morfondait, partagé entre l'espoir que lui donnait son coup de télephone et les inquiétudes nées de l'absence du commissaire.
Maigret sentait la chaleur des vaches dans l'étable, il entendait les ruades de la jument, il imaginait la vieille cuisinière en camisole...
Et chez Groult...
"L'Homme de Londres", Georges Simenon, aux éditions le libre de poche
Mila Boursier, libraire à La Grande Ourse à Dieppe, nous parle du roman "L'homme de Londres" de Georges Simenon.
Dans ce polar, l'auteur ne nous parle pas de Maigret, mais d'un homme qui prend une mauvaise décision un soir à Dieppe. de fil en aiguille, le lecteur parcourt les rues de la ville dans une haletante chasse à l'homme.
Un entretien mené à Dieppe, à la librairie La Grande Ourse.
Vidéo réalisée par Paris Normandie.