AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bouteyalamer


Moins grandiose que les Géorgiques et sa prodigieuse ouverture, le Jardin des plantes est l'autobiographie d'un homme qui habitait place Monge et a vécu plusieurs vies : orphelin, peintre, combattant de la guerre d'Espagne, cavalier égaré et vaincu en mai 1940, amant, écrivain, prix Nobel voyageur. le livre offre au lecteur patient de grands bonheurs : l'ironie, la combinaison dans la phrase de descriptions minutieuses et de métaphores, l'alternance des phrases longues et des visions décisives (" On peut voir jaillir comme des flèches au-dessus des murs les hirondelles aux ailes noires et courbes pareilles à des poignards " p 55), le rejet du verbe ou de la clé du sens à la fin de la phrase qui impose et mérite l'attention : " Alors imaginez la calme fin d'une journée de printemps où tout semble comme verni, frais, émaillé, les rayons du soleil déclinant qui percent en oblique les feuillages des arbres bordant la côte que monte maintenant au pas l'escadron, et à part toujours le bruit des sabots c'est le silence, personne ne parle, vous regardez seulement les premiers groupes de réfugiés qui cheminent en sens inverse , et tout à coup, sans que rien ne se soit encore produit, sans raison apparente, vous les entendez crier, ou plutôt criailler, les piaillements aigus des femmes, trop aigus, presque indécents, au point que vous vous demandez avec une sorte de condescendance apitoyée Qu'est-ce qui leur prend, qu'est-ce qui leur prend ? en même temps que vous les voyez tous, femmes, hommes, enfants abandonner les chariots, les bicyclettes ou les poussettes qu'il traînaient et se jeter dans le fossé et alors, sans que vous ayez seulement entendu venir les trois avions qui volent haut, tout à coup cette espèce de buisson de poussière dans le champ, à quelques mètres de vous, crépitant d'étincelles dans un bruit ou plutôt un fracas assourdissant, et le souffle de la bombe qui vous frappe sur le côté comme des coups de poing, et alors, puisque c'est ça que vous me demandez, ça y est : la peur " (p 81-2).

Il n'y a pas ici de parenthèses emboîtées mais une présentation cubiste, une césure verticale ou oblique qui montre ensemble dans la page des souvenirs aussi fortement gravés, souvenirs d'enfance et souvenirs de guerre (voir p 73-4). On y trouve aussi des villes (Barcelone, Stockholm, Moscou), des terres (Jura, Kazakhstan, Sibérie), des hommes (Rommel, Churchill, Gorbatchev) (" À part ça pour un des deux hommes les plus puissants du monde il est très aimable très bien élevé En Suisse peut-être pendant que les autres s'expédiaient à coup de balles dans le nuque mais enfin s'il n'a pas lui-même expédié à l'aide d'un pistolet aucun de ses anciens associés il a tout de même dû en envoyer quelques-uns se congeler vivant du côté du cercle arctique ou de l'Asie centrale parce que dans leur pays on n'arrive pas à la place qu'il occupe sans marcher d'une façon ou d'une autre sur quelques cadavres " p 329), ailleurs des femmes anonymes, les misères du corps et, après Stockholm, le journaliste qui ne s'intéresse qu'à la peur et à la débâcle. Et encore des perceptions intimes : " L'air immobile a cette tiédeur pour ainsi dire intestinale, charnelle, caractéristique de l'Inde, chargé de ces imprécises senteurs à la fois végétales et animales qui, le matin, avant l'étouffante fournaise de l'après-midi, semblent suspendues comme de légères exhalaisons d'herbes, d'essences et d'espèces inconnues " (p 125).

Commenter  J’apprécie          91



Ont apprécié cette critique (9)voir plus




{* *}