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Citations sur Le jardin des plantes (9)

Je ne suis pas revenu à Rome depuis. Je ne sais si maintenant ils ont réussi à résoudre leurs problèmes de circulation mais à cette époque c'était quelque chose de totalement anarchique, assez effarant. Avec ses ruines colossales, sa profusion de palais, de coupoles et d'églises entre lesquels circulait (ou se trouvait coincé) le flot des voitures, ça faisait penser aux ossements de quelque monstre prédateur d'une espèce disparue depuis longtemps et dont une armée d'insectes à carapace s'acharnait à ronger ce qui pouvait encore rester de chair accrochée à ces falaises de pierre, ces arcades, ces thermes, ces dômes boursouflés et creux. Comme l'accumulation (les cyclopéens et ambitieux entassements d'architraves, de frontons, de corniches, de volutes, de trophées, de tombeaux, de baldaquins, de pietàs et d'angelots dorés) laissée derrière elle par de successives dynasties de personnages aux mêmes visages pensifs, glabres ou impitoyables sculptés dans le marbre, couronnés de lauriers, de tiares ou de chapeaux de cardinaux. Il a dit que ça n'avait pas changé, que c'était toujours le même genre de bandits sauf qu'aujourd'hui ils étaient illettrés, portaient des complets veston et que leur seule ambition était de se remplir les poches en construisant des merdes en ciment armé faites tout au plus pour durer une vingtaine d'années et juste bonnes ensuite à dynamiter.

pp. 117-119, colonne de gauche.
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Valéry raconte qu'un fameux écuyer de Saumur recevant la visite d'un jeune chef d'escadron brillant cavalier lui dit : "Je vais monter pour vous", fait amener un cheval, se met en selle, traverse au pas le manège dans toute sa longueur, revient, saute à terre et dit : "Voilà. Je ne fais pas d'esbroufe. Je suis au sommet de mon art : marcher sans faire une faute."
pp. 71-72
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Le "Comandante"
... tandis que je lui expliquais de quoi il s'agissait, épiant à la dérobée (debout il me dépassait presque de la tête) à la lueur des rares réverbères et à demi caché par l'ombre de ce chapeau à bord roulé comme en portaient à l'époque les diplomates le visage entrevu dans la salle de restaurant et qui était quelque chose comme le contraire de ce à quoi je m'étais attendu, c'est-à-dire, avec des traits réguliers à peine empâtés par la cinquantaine, ses poches sous les yeux (ces yeux dont, par la suite, je devais connaître la permanente humidité, comme un larmoiement continu qui atténuait leur dureté de métal), sa couperose et ses bajoues naissantes, quelque chose qui faisait plutôt penser à celui d'un Irlandais que d'un Italien, composant, avec les vêtements de bonne coupe, le pantalon au pli impeccable, les souliers impeccablement cirés, les ongles manucurés et la chevalière d'or (là-dessus il ne pouvait y avoir aucun doute ; ce n'était pas du simili) un ensemble dont émanait une impression à la fois de faste, de violence et d'incurable désolation, comme on peut en voir à ces riches et oisifs voyageurs qui traînent dans les halls des hôtels de luxe, entourés de cette aura de respectabilité gourmée, neurasthénique et hautaine d'anciens élèves d'Eton ou de Cambridge conservant de leur éducation une raideur puritaine en même temps que cette bestialité qui trouve son échappatoire dans la boue des terrains de sport - ou plutôt de pugilats.
p. 46
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L'aube qui se lève sur la Sibérie colore de rose les pentes d'un moutonnement de collines basses qui se succèdent à perte de vue en une vague étendue bleuâtre. Pendant des heures, elles glissent lentement au-dessous de l'avion, monotones, pareilles et désertes, sans trace de vie humaine (route, chemin de fer, ville ou hameau) tandis que peu à peu la lumière précise leurs contours aplatis, citron bientôt sur les faces exposées au soleil, d'un bleu maintenant plutôt accusé dans les replis qui les séparent.
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silhouette à contre-jour dans l'encadrement du vantail ouvert de la porte de l'énorme femme appuyée sur ses béquilles. En arrière-plan étalages lumineux d'un marché.
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D'en haut, l'oeil découvre la scintillante débauche de lumières s'étendant jusqu'à l'horizon et où le rectangle de Central Park dessine un îlot de ténèbres aux contours géométriques, insolite, dépeuplé. Une brume d'un bleu pastel délicat stagne, accumulée au fond des vertigineuses tranchées qui s'ouvrent entre les parois verticales et parallèles des hautes façades, comme coupées au couteau dans une unique matière d'un brun noir. Elle enveloppe dans une transparence veloutée le flot docile des voitures semblable à quelque migration d'insectes. Précédées par les pinceaux de leurs phares, elles-mêmes veloutées, elles viennent s'accumuler aux croisements, s'immobilisent, repartent, s'égrènent, s'immobilisent de nouveau dans une sorte d'irréel silence, comme si le grondement qui s'élève de l'énorme ville, uniforme, étale pour ainsi dire, recouvrait ou plutôt absorbait indistinctement les millions de bruits confondus dans une unique et formidable rumeur, vaguement inquiétante, déchirée de loin en loin par le sporadique hululement de sirènes (police, ambulances, pompiers ?), croissant, s'exaspérant, strident, décroissant, mourant. Comme des cris de folles, d'oiseaux exotiques, ou les cornes de navires en perdition. Comme si la ville elle-même criait. Comme si, par intervalles, l'étincelant et orgueilleux amoncellement de cubes et de tours agonisait sans fin dans une sorte de diamantine apothéose, relançait de moment en moment vers le ciel opaque de longs signaux d'alarme, d'angoisse.

p. 225
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D’avion, le Kazakhstan offre à perte de vue une surface ocre, sans relief apparent, sans une ville, sans un village, sans même une ferme, une route, un sentier. La seule manifestation d’activité humaine c’est, à un moment, une voie de chemin de fer qui s’étire, absolument droite, comme tracée à la règle, sans une courbe, sans même la plus légère inflexion, venant apparemment de nulle part et ne menant nulle part, comme le rêve absurde d’un ingénieur fou. Ici et là apparaissent des étangs (ou peut-être des lacs : comment savoir de si haut ?…), la plupart de forme à peu près circulaire. Lorsque les rayons du soleil se reflètent à leur surface elle est semblable à de l’étain, une taie sur un oeil d’aveugle (gelés?). Au dessus, à perte de vue également stagnent à intervalles réguliers des rangées de petits nuages, ronds aussi et de taille égale, alignés comme une armée en ordre de bataille. À leurs ombres fixes sur le sol où elles répètent la même formation militaire o, se rend compte qu’aucune dérive, qu’aucun vent ne les entraîne
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On peut voir jaillir comme des flèches au-dessus des murs les hirondelles aux ailes noires et courbes pareilles à des poignards
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Alors imaginez la calme fin d'une journée de printemps où tout semble comme verni, frais, émaillé, les rayons du soleil déclinant qui percent en oblique les feuillages des arbres bordant la côte que monte maintenant au pas l'escadron, et à part toujours le bruit des sabots c'est le silence, personne ne parle, vous regardez seulement les premiers groupes de réfugiés qui cheminent en sens inverse , et tout à coup, sans que rien ne se soit encore produit, sans raison apparente, vous les entendez crier, ou plutôt criailler, les piaillements aigus des femmes, trop aigus, presque indécents, au point que vous vous demandez avec une sorte de condescendance apitoyée Qu'est-ce qui leur prend, qu'est-ce qui leur prend ? en même temps que vous les voyez tous, femmes, hommes, enfants abandonner les chariots, les bicyclettes ou les poussettes qu'il traînaient et se jeter dans le fossé et alors, sans que vous ayez seulement entendu venir les trois avions qui volent haut, tout à coup cette espèce de buisson de poussière dans le champ, à quelques mètres de vous, crépitant d'étincelles dans un bruit ou plutôt un fracas assourdissant, et le souffle de la bombe qui vous frappe sur le côté comme des coups de poing, et alors, puisque c'est ça que vous me demandez, ça y est : la peur (p 81-2)
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