Chapitre 1, première phrase : « C'est en avril 1994 que j'ai demandé à Dieu de divorcer », écrite en caractères gras. Voilà qui m'a tout de suite parlé ; c'est une phrase que j'aurais pu écrire (si j'avais été croyante), tant la vie a oublié d'être tendre. Ce divorce, je l'ai « consommé » ! Comment, s'il « existe », Dieu (ou un autre) peut-il laisser faire des horreurs ?
Avec ces mots d'accroche, j'ai tout de suite compris que j'allais découvrir dans ces pages quelque chose proche de l'indicible, quelque chose qui peut faire haïr une puissance supérieure, ou en tout cas, ne plus vouloir en entendre parler.
J'ai tout d'abord été peu sensible aux explications politiques du début, j'ai craint qu'il n'en soit ainsi tout au long du livre, car ce qui m'intéresse, moi, c'est l'humain. Heureusement, par la suite, le lecteur lit en alternance des chapitres racontant le séjour professionnel au Rwanda de Sacha Alona, journaliste, et les lettres (en italiques) adressées par Rose, une jeune maman rwandaise , à Daniel, son mari médecin en déplacement quasi-permanent. L'une et l'autre vont utiliser l'écriture pour survivre. Rose était la fille du cuisinier de l'ambassade de France à Kigali, jusqu'à ce que le pire se produise.
Qui parle du Rwanda aujourd'hui ne le fait pas pour des raisons touristiques. le nom lui-même évoque l'horreur. Et le roman va crescendo dans la tension et l'effroi. Les froides considérations politiques du début se muent peu à peu en quelque chose de plus humain, concret et dramatique, lorsque commencent les exactions des Hutu ; ceux qui étaient hier encore amis ou frères se livrent brutalement au génocide des Tutsi, ou au mieux ne s'y opposent pas tant les représailles sont meurtrières
Certains passages ont un goût de déjà vu : une scène notamment m'a rappelé Oradour-sur-Glane. L'homme n'apprend-t-il donc pas de l'Histoire ?
En sus de cette haine fratricide, ce roman montre bien l'indifférence de la France, entre autres pays, à ce qui se passe au Rwanda, éclaire le lecteur pour qui la situation, faute d'informations, n'est pas très claire. Qui sont les Hutu ? Qui sont les Tutsi ? Vu de loin, on pense à une guerre fratricide incompréhensible, alors qu'il s'agit d'une tentative d'extermination, d'un génocide.
Vingt-cinq ans se sont écoulés et l'on semble à peine à ouvrir les yeux, comme si la vie d'un Tutsi n'avait que peu d'importance, comme si, comme l'a écrit
Jean Hatzfeld en 2003 déjà dans «
une saison de machettes » sur le même sujet : « Au fond, un homme c'est comme un animal, tu le tranches sur la tête ou sur le cou, il s'abat de soi».
Voilà, vous savez à quoi vous attendre en ouvrant ce livre. Faites-le.