AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Les exilés de la mémoire (6)

La population de la plage représentait un échantillon des forces de la république, il y avait des soldats, des carabiniers, des gardes d'assaut, des artilleurs, des "mossos d'Esquadra" catalans, des membres des escortes présidentielles, des marins, des aviateurs, près de cent mille personnes qui comme moi s'étaient retrouvées, du jour au lendemain, sans pays, explique Arcadi dans les enregistrements de la Portuguesa.
Commenter  J’apprécie          90
L'arénite ? m'entends-je lui demander. Oui, une psychose que tu ne peux pas comprendre si tu n'as pas longtemps vécu avec le sable ; nous vivions et dormions sur le sable, il y avait du sable dans nos vêtements et dans ce que nous mangions, du sable sur nos pieds et sous les ongles de nos doigts et derrière nos genoux et dans notre cul et sous nos couilles et dans nos jeux ; et cette omniprésence du sable finissait par produire des dessèchements et de l'eczéma et des champignons et une conjonctivite qui teintait d'écarlate l blanc de nos yeux. Mais les effets psychologiques étaient pires que les effets physiques, parce que c'était une torture systématique qui n'aurait ni fin ni remède tant qu'il y aurait du sable sur cette plage.
Commenter  J’apprécie          61
Jordi Soler est la troisième génération, il raconte son enfance, un véritable cauchemar (à mon avis). Je me demande pourquoi trois générations ont accepté cette vie. Je le saurai peut-être mieux en avançant dans le livre.
PS Et ce que vous lirez là n'est pas le pire... Disons que c'est le plus "recopiable". Bonne lecture !

A chaque déplacement dans la maison on ne pouvait manquer de tomber sur un spécimen qui aurait fait bondir de plaisir un entomologiste. Les "marimbolas" planaient dans les couloirs, maîtresses d'un vol lourd et antique, un vol de biplan, en disputant l'espace aérien aux guêpes savetières, aux sauterelles, aux moustiques, aux "amoyotes" et aux "azayacates", les trois derniers étant aussi solitaires que la "marimbola", mais beaucoup plus rapides, ils se déplaçaient à la vitesse du "chaquiste", qui contrairement à eux apparaissait en nuées d'une cinquantaine d'individus si petits qu'ils parvenaient à traverser la trame des vêtements et à provoquer des éruptions cutanées sur tout le corps d'une personne vêtue de pied en cap. Joan et moi étions continuellement piqués par les trois variétés de moustiques ; chaque soir, avant de nous coucher, Laia et ma grand-mère nous frottaient de la tête aux pieds avec une mixture pestilentielle. Vers la fin de l'après-midi, quand le soleil baissait, pénétraient dans l'espace aérien les bestioles volantes attirées par la lumière électrique, on allumait les cigares et chaque habitant de la maison commençait à se défendre contre ces insectes en s'enveloppant d'un épais nuage. Il y avait aussi d'énormes papillons noirs qui se confondaient avec la rugosité d'un meuble ou une tâche d'humidité sur le tapis, jusqu'à ce que quelqu'un passe trop près et les effraye ; alors ils s'envolaient, contrariés et le sens de l'orientation perdu, en laissant une traînée noire chaque fois qu'ils heurtaient avec leurs ailes un obstacle qui interférait avec leur plan de navigation. Volaient aussi autour de la lampe électrique mites, scarabées, sauterelles, "catarinas" et "capamochas", et, à l'occasion, cela dépendant de la densité de l'évaporation dans la forêt, pyrophores, licornes et cigales, bien que ces dernières... fussent plus attirées par la séduction du projecteur de diapositives. Les licornes étaient des scarabées noirs, gauches et bruyants, trois fois plus grands que les "mayates", qui plus qu'elles ne volaient rebondissaient d'une surface à l'autre, possédaient une corne au milieu du front, ou du moins à l'endroit où, si on se fie à l'anatomie d'un mammifère, devrait se situer leur front, six pattes velues et une bave qui abîmait vos vêtements chaque fois qu'elle vous tombait dessus.
Au sol se déroulait une autre scène, où se croisaient des cafards, des "cuatapalcates", des "atepocates" et des petits lézards. Selon le climat, d'autres espèces s'y ajoutaient, les nuits de pluie entraient des crapauds barytons et des grenouilles à queue, les nuits sèches apparaissaient des scorpions noirs et une créature monstrueuse, de la taille d'une figue, connue sous le nom de visage d'enfant. Ce monstre marchait avec la lenteur de qui sait que l'écrabouiller est un luxe prohibitif, car l'éclatement de ses viscères laisse une tâche indélébile sur le parquet. La face de cette bestiole est un cauchemar : un lobule ambré et translucide troué de deux points noirs, ses petits yeux. Certaines nuits nous étions réveillés par le bruit de ses pas sur le plancher du couloir et nous criions de désespoir quand, dans le noir, nous l'entendions entrer dans notre chambre.
Commenter  J’apprécie          30
Pendant que les rouges d'outre-mer s'emmêlaient dans l'imbroglio du complot contre Franco, on préparait en Espagne les festivités célébrant la paix qui, depuis vingt-cinq ans, c'est-à-dire depuis le premier jour de la dictature, régnait dans le pays. L'initiative, annoncée à grand bruit à la une des journaux, était l'aboutissement naturel du maquillage systématique grâce auquel Franco avait réussi à estomper sa qualité de dictateur pour se métamorphoser peu à peu en gouvernant normal, accepté par l'ONU et par la grande majorité des Etats démocratiques ; il était ainsi parvenu à faire considérer la guerre civile, ce schisme qui avait coupé l'Espagne en deux, comme un événement mineur.
Commenter  J’apprécie          30
J'ignore quelle perception de l'avenir pouvait avoir mon grand-père ; il pensait peut-être rester quelques mois en France en attendant que la situation dans son pays redevienne normale, le temps que le général Franco fasse preuve de coeur et décrète une amnistie. Ce qu'il ne soupçonnait évidemment pas, c'est qu'il venait de quitter l'Espagne pour toujours, qu'il devrait improviser le reste de sa vie dans une enclave de la forêt mexicaine, que quarante ans ou presque s'écouleraient avant qu'il ne revienne et qu'il se rendrait compte alors que ce retour, après tout ce temps, était une affaire impossible. Sa montre marquait 7h 10 ; il profita du trajet jusqu'à la baraque pour l'avancer à 9h 10, qui était l'heure de la France. Le geste semble simple, si on ne prend pas en compte qu'il fallait ajouter ces deux heures à tout ce qu'il laissait derrière lui ; deux heures qui resteraient là, étranglées, durant des décennies, jusqu'au jour où il reviendrait tout bonnement les chercher.
Commenter  J’apprécie          20
La main qui avait exigé son sac lui ordonna aussi de vider ses poches sur un plateau placé là à cet effet. Il y jeta un mouchoir blanc, un briquet à amadou et ses papiers d'identité (...) Le garde lui indiqua, avec un mouvement de mâchoire, de remettre le tout dans ses poches, puis il prit le sac et en versa le contenu dans une tranchée qu'Arcadi, distrait par l'instruction muette du garde, n'avait pas remarquée. Il vit ses biens tomber l'un après l'autre dans ce fossé, un change de linge de corps, un couteau, des lunettes de lecture, un carnet, un crayon et une photo de ma grand-mère. A peine tombé au fond, tout fut immédiatement enterré sous deux pelletées de chaux jetées par un paysan qui se tenait debout près d'un tas blanc, pelle prête et arborant une prestance qui, par contraste avec les haillons dont il était vêtu, lui donnaient l'air d'un fou. Puis le garde jeta également le sac dans la tranchée et, après que le paysan eut ponctuellement jeté ses deux pelletées, il ordonna à mon grand-père, avec un dernier mouvement de mâchoire, de prendre place dans une autre file qui commençait à avancer.
Commenter  J’apprécie          13




    Lecteurs (75) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Quelle guerre ?

    Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

    la guerre hispano américaine
    la guerre d'indépendance américaine
    la guerre de sécession
    la guerre des pâtissiers

    12 questions
    3186 lecteurs ont répondu
    Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

    {* *}