Eux auraient été incapables d'exprimer ce qu'ils lui trouvaient. Simplement par une vertu propre à la jeunesse, ils aimaient tout ce qui était sincère et chacun lisait aisément sur le visage du professeur que ses paroles étaient le miroir fidèle de sa pensée.
Je mangeais avec soumission tout ce qu'on me présentait et, s'il me tombait sous la dent quelque corps étranger : cheveu, morceau de tourbe, patte de cafard , je le mettais de côté sans m'impatienter.Je n'avais pas le coeur à faire des reproches à Matriona.
_____Il y a deux mystères en ce monde : comment suis né, ne me rappelle, comment mourrai, ne sais.
Et Matriona se tut aussitôt, et tous se turent jusqu'au silence complet.
Le soleil d'hiver mettait un reflet légèrement rosé sur la surface gelée de la petite fenêtre du vestibule maintenant raccourci et ce reflet réchauffait le visage de Matriona . Ils ont toujours un beau visage , ceux qui sont en paix avec leur conscience.
Dans l'enseignement c'est comme cela toute la vie : il faut faire constamment preuve de présence d'esprit, seul devant tout le monde, et chaque fois c'est autre chose.
Matriona s'était bien habituée à moi, et moi à elle, et nous vivions en bonne intelligence. Elle ne m'importunait pas de questions. La curiosité féminine lui était à ce point étrangère ou elle était à tel point délicate qu'elle ne me demanda pas une fois si j'avais été marié. Toutes les femmes de Talvono la harcelaient pour qu'lle me tire les vers du nez.
- Vous n'avez qu'à demander vous-mêmes puisque c'est vous que ça intéresse. Je ne sais qu'une chose c'est qu'il vient de loin.
Et lorsque bien plus tard je lui eus raconté que j'avais été longtemps en prison, elle ne fit qu'opiner de la tête en silence, comme si elle s'en était doutée avant.
Et moi aussi je voyais la Matriona d'à présent, une pauvre vieille seule au monde, et ne touchais pas on plus à la plaie de son passé, et d'ailleurs je ne soupçonnais même pas qu'il pût y avoir quelque chose à y chercher.
Il y avait l'électricité au village : on l'avait amenée de Chatoury dès les années 1920. A l'époque on parlait dans les journaux de la "lampe d'Ilitch" et les paysans disaient, ouvrant de grands yeux : "C'est la reine lumière !".
Tourfprodukt ? Pauvre Tourgueniev qui ne se doutait pas qu'on pouvait fabriquer des noms comme celui-là en russe !
Elle n’avait rien amassé pour l’heure de sa mort. Une chèvre d’un blanc pisseux, un chat éclopé, des ficus. Tous nous avions vécu auprès d’elle sans comprendre qu’elle était le juste du proverbe sans lequel il n’est village qui tienne. Ni ville. Ni notre terre entière.
Matriona s'était bien habituée à moi, et moi à elle, et nous vivions en bonne intelligence. Elle ne m'importunait pas de questions. La curiosité féminine lui était à ce point étrangère ou elle était à telle point délicate qu'elle ne me demanda pas une fois si j'avais été marié . Toutes les femme de Talnovo la harcelaient pour qu'elle me tire les vers du nez.