AGAMEMNON - Comment ? C'est toi, Ulysse, qui te déclares ici son champion contre moi ?
ULYSSE - Oui, je le haïssais, mais lorsque mon devoir était de le haïr.
AGAMEMNON - Il est mort : c'est donc le moment de mettre ton pied sur son corps.
ULYSSE - Ne te plais pas, Atride, à des succès sans gloire.
Ah ! qu'ils rient donc tout à leur aise ! qu'il triomphent de ses malheurs ! S'ils ne l'aimaient pas vivant, mort, ils le pleureront sans doute, lorsqu'il leur manquera sur le champ de bataille. Les esprits vulgaires ne comprennent le prix de ce qu'ils possèdent que du jour où ils l'ont perdu. (TECMESSE)
TECMESSE. – […] Ce qui se passa dehors, je n’en sais trop rien, mais il revint, poussant devant lui, attachés pêle-mêle, taureaux, chiens de berger, bêtes à laine. Il décapitait les uns, il égorgeait les autres, en leur faisant dresser le cou, ou bien il leur brisait l’échine ; il y en avait qu’il couvrait de chaînes et qu’il torturait, s’acharnant sur ces bêtes comme sur des hommes.
ATHENA. – De quoi as-tu peur ? Il n’a jamais été qu’un homme.
ULYSSE - Non, qu'il reste chez lui ! c'est assez, par les dieux.
ATHÉNA - Mais que redoutes-tu ? N'est-ce donc pas un homme ?
ULYSSE - Et même un ennemi, qui le demeure encore.
ATHÉNA - Eh bien ! quoi de plus doux : rire d'un ennemi ?
Une autre fois encore, comme la divine Athéna l'invitait à tourner son bras meurtrier du côté de l'ennemi, [Ajax] lui fait cette réponse effrayante, inouïe : "Va assister, maîtresse, les autres Argiens, ce n'est pas où je suis que le front craquera." C'est par de tels propose qu'il s'est attiré la colère implacable de la déesse : ses pensers ne sont pas d'un homme. (LE MESSAGER)
TECMESSE. – Tant qu’a duré la crise, notre Ajax était comme enivré de ses propres maux. Certes, à nous qui gardions notre raison, cela nous faisait peine à voir. Mais maintenant, délivré de sa fureur, il est tout secoué d’un affreux chagrin et nous ne souffrons pas moins qu’auparavant. N’est-ce pas souffrir deux fois pour une ?