Sans doute Ninon imagine-t-elle que le plus dur est fait, que la guérison est désormais en marche par la grâce de ces syllabes prononcées à voix haute, allodynie tactile dynamique, un presque alexandrin qui déjà éloigne la douleur, une offrande du médecin à sa patiente, ces mots rythmés, aux sonorités enlevées, Ninon les articule, ils sont la solution car si la maladie existe, sortie de l'ombre, de la clandestinité, épinglée sur la grande carte des pathologies, c'est qu'elle peut être soignée, la description d'une maladie est le début de sa résolution, nommer le mal c'est commencer à le soumettre.
[p65-66]
Pour Ninon, cette tentative de désertion de soi, de désaffection, pourrait constituer le revers salvateur du poids inconsidéré de sa famille - qui devant l'échec s'invite à nouveau -, et surtout de l'inquiétude qui plombe, car - cela s'était présenté comme une hypothèse plausible - à force de redouter le pire ne l'invoque-t-on pas ? Et si c'était la peur qui avait provoqué l'irruption du mal, qui l'avait appelé de ses voeux ?
[p183]
Vous me dites que je n'ai rien mais alors pourquoi j'ai mal ? J'ai peut-être quelque chose qui ne se voit pas à l'image. Vous pouvez tout voir avec vos machines ? Ninon est à cran, l'esprit aussi inflammable que ses bras, exagérément susceptible depuis quelques jours, depuis qu'est apparue cette foutue douleur incompréhensible sur sa peau, se sent soupçonnée, accusée d'affabulation ; elle tâche de soutenir son regard mais l'interne a remis le nez dans les feuilles d'examens et les radios plutôt que sur le visage contrarié de Ninon.
[p49-50]