Moi qui m'étais jusque-là senti rassuré, je fus soudain submergé de tristesse. Je ne voulais pas mourir! Envers et contre tout, je voulais vivre. En plus, je me sentais si bien, comme délivré d'un fardeau, que je ne ressentais pas le moins du monde la nécessité de mourir. Les médecins, me croyant dans le coma, continuaient à parler sans la moindre réticence. Moi que les regrets envahissaient, immobile et les yeux clos, dans la position d'un mort, je fus assailli par un rêve quelque peu étrange. Bientôt, je commençai à me lasser d'entendre de mon lit, comme s'il se fût agi d'un autre, des commentaires téméraires sur ma vie et ma mort, puis, je sentis même la colère monter. Moralement, je me disais qu'ils auraient pu se montrer un peu plus réservés. Enfin, j'en arrivai à me dire que, si telle était leur façon de voir les choses, moi aussi j'avais la mienne!...
Sans doute l'ombre du démon de la vie réelle est-elle toujours à hanter la recherche de la beauté
Dans le ciel nocturne
Une oie sauvage s'est posée
Sur la lune
L'idée me vint qu'il serait bien que je puisse noter mes pensées et mes sentiments au jour le jour, pour plus tard, même si cette expérience s'altérait au fur et à mesure que je l'accumulais sans honte ni arrière-pensée, expérience qui n'avait ni la profondeur ni l'épaisseur du mal dont je souffrais et qui se produirait une fois, deux fois peut-être au cours de mon existence. Naturellement, je n'étais pas à même de tenir une plume et le temps ne faisait que passer. Le jour succédait à la nuit, la nuit succédait au jour. Et les ondulations de mon cœur qui effleuraient mon esprit s'enfuyaient à l'instant même où j'avais cru les saisir. A contempler les vestiges de ma mémoire qui s'estompaient insensiblement, toujours plus vagues, je fus envahi par un ardent désir de ranimer ces souvenirs.
En fin de compte, à supposer qu'on ait réussi à composer un haiku ou un poème de qualité, la joie qu'en retire l'intéressé se résume à recevoir quelques remarques favorables de personnes aux goûts semblables, réputation flatteuse qui, une fois retranchée, ne laisse subsister qu'angoisse et souffrance.
Mon sang s'écoule le rouge sombre
Qui dessinait des arabesques dans mes entrailles
A présent crée dans l'émail de jolies formes
En se mêlant à l'incarnat du soleil couchant
J'ouvre les yeux dans la nuit et me sens si léger
Que je crois n'être plus qu'un amas d'os sans chair
Immobile sur ma couche
Mon corps est dur comme la pierre
En rêve je vois des nuages
Les nuages froids de l'hiver
Arrivé avant l'heure
...Ce que je vais dire vous semblera peut-être étrange, mais je suis un fou qui a attendu de parvenir à la cinquantaine pour s'apercevoir que la Voie était à pratiquer dans la vie quotidienne. Et quand je songe au moment où il me sera donné de trouver la Voie véritable, la distance qui m'en sépare ne semble grande que j'en reste abasourdi...
A qui est-il destiné
Le feu follet* allumé par celle qui porte
Un haori en gaze de soie
* En japonais "mukaibi", le feu qu'on allume à l'entrée de la maison le soir du premier jour de la fête des morts (urabon) pour accueillir l'âme des ancêtres. Les dates varient selon les régions, entre juillet et août.
Les hommes meurent
Les hommes vivent
Passent les oies sauvages
J'éprouvais de la reconnaissance pour la maladie. J'étais reconnaissant envers tous ceux qui m'avaient prodigué sans réticence leurs soins, leur temps, leur gentillesse. Et je me disais que tout ce que je souhaitais, c'était de devenir à mon tour un homme de bien. Et je me jurais de faire de ceux qui briseraient en moi cette pensée emplie de bonheur mes éternels ennemis.