La proie du papillon

Quitte à posséder du fric jusqu’à l’indécence, autant le faire sentir aux personnes que l’on veut soumettre. Plus ça brille, plus ça impressionne : telle est ma maxime ! Après avoir accroché à mes oreilles des boucles incrustées de rubis, je fis l’effort de me maquiller pour mettre en valeur le bleu de mes yeux et les contours charnus de mes lèvres.

Les apparences sont importantes lorsqu’on cherche à intimer le respect à quelqu’un. Ma tenue vestimentaire devait lui signifier dès le premier coup d’œil que je gérais mes affaires d’une main de fer dans un gant de velours.

La gentillesse dégoulinante de ma rivale agit souvent ainsi sur les gens, elle les met en confiance. Moi, j’ai plutôt l’habitude de les stresser, à chacune son truc. Quand je vous dis que tout nous oppose, elle et moi…

J’avais décidé de porter pendant la réunion une jupe très courte révélant mes jambes ainsi qu’un chemisier échancré. Il s’agissait alors d’attirer l’œil du jeune collaborateur sur lequel j’avais des vues. À présent qu’Annie avait tout fichu par terre, mes efforts pour paraître sexy devenaient inutiles. Il me fallait trouver une tenue moins aguicheuse, plus anodine. Je me claquemurai dans mon bureau où je garde en permanence quelques habits de rechange grâce à une penderie dissimulée dans la cloison. Prévoyance est mon second prénom. J’ouvris l’espace de rangement secret et choisis au hasard un pantalon et une veste de tailleur sombre avec les chaussures assorties. Petite touche d’élégance, je nouai un foulard en cachemire beige autour de mon cou.

Le calme de la campagne, la rosée des petits matins et les gazouillis des piafs ont comme un goût de paradis pour certains… Même si parfois on crève d’envie de dégommer ces empêcheurs de dormir en rond à coups de fusil ou de lance-pierres. Pour moi, rien ne vaut la symphonie des klaxons et la pollution de cette bonne vieille civilisation !

Il fallait reconnaître que le Papillon avait peaufiné son approche dans les moindres détails. Un vrai pirate à l’abordage d’un galion, avec une psychologie fourbe et des affinités habilement simulées en guise d’armes. Il se montrait patient, attentif, feignait de boire les paroles dont Annie l’abreuvait au cours de leurs flâneries… Cette sotte ne soupçonnait pas le moins du monde la nature crapuleuse de sa nouvelle connaissance.

Mes talents sont à louer, pas mon corps. La nuance a son importance. Je déploierai les talents qui sont miens pour détruire la proie que vous m’avez désignée. Mais en aucun cas je ne serai votre gigolo. Compris ? Je ne suis pas l’un de vos vulgaires employés qui vous obéissent au doigt et à l’œil…

L’alcool ralentissait la réactivité de mes pensées, mais une colère sourde ne tarda pas à faire pulser le sang dans mes tempes. Je compris alors brutalement qu’ici, dans l’arène de cette chambre où se disputaient ombres et lumière, deux volontés inflexibles se livraient un duel au sommet. Ma rage subite s’évanouit alors comme par enchantement. Une curieuse excitation me submergea : celle d’avoir quelqu’un qui osait enfin me tenir tête.

Conscient de l’effet que son corps produisait sur les femmes, il persistait à s’entretenir avec moi dans le plus simple appareil. L’impudeur de Marco ignorait le sens même du mot complexe. Plus les hommes sont équipés à leur avantage, plus ils sont insupportables. Cependant, ce provocateur dans l’âme se gourait s’il espérait m’embrouiller l’esprit aussi facilement.

En faisant découvrir à ma victime des plaisirs de luxure qu’elle ne soupçonne même pas. En lui démontrant de toutes les façons possibles et imaginables ce qu’est l’extase. La débauche morale et physique dans laquelle je vais la faire sombrer progressivement aura des relents de folie, vous pouvez me croire.