L'oeil du purgatoire

Il y a des gens qui ne sont jamais contents. Ils vous trouvent trop triste, ou trop gais. Avec eux, toujours quelque chose de trop. Moi, j’aime beaucoup le « trop », c’est le signe d’une riche nature.

On a très peu de chose à faire dès qu’on se réduit à l’essentiel.

L’école nous enseigne qu’il existe, après l’espace et le temps, une troisième catégorie : la causalité. Pourquoi ne ferait-on pas des voyages dans la causalité ?

L’espoir est décidément tenace au cœur des hommes ; il donne la mesure de leur bêtise !

Les hommes manquent autant d'originalité pour mourir que pour vivre. Évidemment le résultat seul importe. Mais on aimerait disposer d'un choix de moyens aussi variés que les hors d'oeuvres. La nature a plus d'imagination que nous quand c'est elle qui porte le coup final... Mettre d'un côté l'infinie diversité des maladies et accidents mortels, de l'autre les quelques moyens de se suicider, et de la disproportions entre les deux colonnes, tirer des conclusions sur la pauvreté de l'esprit humain, serait une plaisante occupation pour quelqu'un qui est décidé à disparaître...

Et qu’est-ce donc qu’être artiste, poète, sinon échapper à l’aspect journalier du monde pour s’efforcer de prendre d’autres incidences sur la réalité ? À leur manière, les gens de votre espèce tentent un voyage dans la causalité. Ils veulent s’évader de la prison du monde familier, mais leurs forces les trahissent, ils y retombent. Ils ont rejoint la gare de départ, ils montent dans le chemin de fer du rêve, mais le train ne part pas, la fusée ne décolle pas, l’aventure rate… Ratée l’expérience artistique ! Ratée l’expérience poétique ! Ils n’ont pas trouvé la ligne de fuite, ils n’ont pas atteint la limite au-delà de laquelle ils échapperaient à la glu du monde. Ils chantent l’amour, les joies de la chair, la vie triomphante. Erreur radicale. Au lieu de se laisser aller à l’attrait du monde, il faudrait commencer par éprouver pour lui une solide répulsion.

Le temps, nous voyageons avec lui, à la vitesse de vingt-quatre heures par jour. C’est bien suffisant pour aller vers la mort.

"Je vois les choses à l’endroit où elles sont, mais dans l’état où elles seront plus tard. Je ne vois plus les nuages, parce qu’ils sont déjà résolus en pluie."

Pour mieux juger du néant de ce monde, je m'amuse à en écrire le vaine histoire.

L'espoir est décidément tenace au cœur des hommes; il donne la mesure de leur bêtise !