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Citations sur Le Consentement (477)

Le bus arrive, G. m'invite à monter, me dit en souriant de ne pas avoir peur, le ton de sa voix est rassurant. "Il ne vous arrivera rien de mal". Mon hésitation semble le décevoir.(...)
"Vous ne devriez pas écouter toutes les horreurs qu'on raconte sur moi. Allez, montez !". Mon hésitation n'a rien pourtant à voir avec le moindre commentaire de mon entourage. On ne m'a raconté aucune horreur sur lui puisque je n'ai parlé à personne de notre rendez-vous.
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Il faut maintenant compter l’argent. Éteindre les lumières, ne pas gaspiller. Les fêtes s’espacent, les amis viennent de moins en moins jouer du piano et chanter à tue-tête à la maison, ma mère, si belle, s’étiole, s’isole, boit trop, se réfugie des heures entières devant sa télé, prend du poids, se néglige, va trop mal pour voir que son célibat est aussi lourd à porter pour moi que pour elle. 
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C’est l’homme que j’aime qui m’en a finalement convaincue. Parce qu’écrire, c’était redevenir le sujet de ma propre histoire. Une histoire qui m’avait été confisquée depuis trop longtemps.
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Cent fois, j’avais retourné cette question dans mon esprit. Sans voir qu’elle était mal posée, dès le départ. Ce n’est pas mon attirance à moi qu’il fallait interroger, mais la sienne.
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INCIPIT
À l’aube de ma vie, vierge de toute expérience, je me prénomme V., et du haut de mes cinq ans, j’attends l’amour.
Les pères sont pour leurs filles des remparts. Le mien n’est qu’un courant d’air. Plus que d’une présence physique, je me souviens d’une senteur de vétiver qui embaume la salle de bains au petit matin, d’objets masculins posés çà et là, une cravate, un bracelet-montre, une chemise, un briquet Dupont, d’une façon de tenir sa cigarette entre l’index et le majeur, assez loin du filtre, d’une manière toujours ironique de parler, si bien que je ne sais jamais s’il plaisante ou non. Il part tôt et rentre tard. C’est un homme occupé. Très élégant, aussi. Ses activités professionnelles varient trop vite pour que je parvienne à en saisir la nature. À l’école, lorsqu’on m’interroge sur sa profession, je suis bien incapable de la nommer, mais de toute évidence, puisque le monde extérieur l’attire davantage que la vie domestique, il est quelqu’un d’important. Du moins, c’est ce que j’imagine. Ses costumes sont toujours impeccables.
Ma mère m’a conçue à l’âge précoce de vingt ans. Elle est belle, les cheveux d’un blond scandinave, le visage doux, des yeux bleu pâle, une silhouette élancée aux courbes féminines, un joli timbre de voix. Mon adoration pour elle n’a pas de limite, elle est mon soleil et ma joie.
Mes parents forment un couple bien assorti, ma grand-mère le répète souvent, faisant référence à leurs physiques de cinéma. Nous devrions être heureux et pourtant mes souvenirs de notre vie à trois, dans cet appartement où je connais brièvement l’illusion d’une unité familiale, ont tout du cauchemar.
Le soir, enfouie sous les couvertures, j’entends mon père hurler, traiter ma mère de « salope » ou de « pute », sans en comprendre la raison. À la moindre occasion, pour un détail, un regard, un simple mot « déplacé », sa jalousie explose. D’un instant à l’autre, les murs se mettent à trembler, la vaisselle vole, les portes claquent. D’une maniaquerie obsessionnelle, il ne tolère pas qu’on déplace un objet sans son accord. Un jour, il manque d’étrangler ma mère parce qu’elle a renversé un verre de vin sur une nappe blanche qu’il vient de lui offrir. Bientôt, la fréquence de ces scènes s’accélère. C’est une machine lancée dans une course folle, personne ne peut plus l’arrêter. Mes parents passent désormais des heures entières à s’envoyer à la figure les pires insultes. Jusqu’à l’heure tardive où ma mère vient se réfugier dans ma chambre pour y sangloter en silence, blottie contre moi, dans mon étroit lit d’enfant, avant de rejoindre, seule, le lit conjugal. Le lendemain, mon père dort une fois encore sur le canapé du salon.
Contre ces colères irrépressibles et ces caprices d’enfant gâté, ma mère a épuisé toutes ses cartouches. II n’y a aucun remède à la folie de cet homme qu’on dit caractériel. Leur mariage est une guerre sans fin, un carnage dont tout le monde a oublié l’origine. Le conflit sera bientôt réglé de façon unilatérale. Ce n’est plus qu’une question de semaines.
Pourtant, ils ont bien dû s’aimer un jour, ces deux-là. Au bout d’un interminable couloir, occultée par la porte d’une chambre à coucher, leur sexualité a sur moi l’effet d’un angle mort où serait tapi un monstre : omniprésente (les crises de jalousie de mon père en sont le témoignage quotidien), mais parfaitement ésotérique (je n’ai aucun souvenir de la moindre étreinte, du moindre baiser, du plus infime geste de tendresse entre mes parents).
Par-dessus tout, ce que je cherche déjà, sans le savoir, c’est à déchiffrer le mystère qui parvient à réunir deux êtres derrière la porte close d’une chambre à coucher, ce qui se trame alors entre eux. Comme dans les contes pour enfants où le merveilleux fait brusquement irruption dans le réel, la sexualité s’apparente dans mon imaginaire à un processus magique d’où naissent miraculeusement les bébés, et qui peut surgir à l’improviste dans la vie de tous les jours, sous des formes souvent indéchiffrables. Provoquée, ou accidentelle, la rencontre avec cette puissance énigmatique suscite très tôt chez l’enfant que je suis une curiosité persistante, et terrifiée.
À plusieurs reprises, je me présente dans la chambre de mes parents, au beau milieu de la nuit, en pleurs, debout dans l’encadrement de la porte, me plaignant d’un mal de ventre ou de tête, avec sans doute le but inconscient d’interrompre leurs ébats, pour les trouver le drap relevé jusqu’au menton, l’air idiot et étrangement coupable. L’image précédente, celle de leurs corps entremêlés, je n’en garde pas la moindre trace. Elle est comme effacée de ma mémoire.
 
Mes parents sont un jour convoqués par la directrice de l’école. Mon père ne vient pas. C’est ma mère qui écoute, inquiète, le récit de ma vie diurne.
— Votre fille tombe de sommeil, on dirait qu’elle ne dort pas la nuit. J’ai dû lui faire installer un lit de camp au fond de la classe. Que se passe-t-il ? Elle m’a parlé de disputes très violentes entre son père et vous, la nuit. Par ailleurs, une surveillante a remarqué que V. se retrouvait souvent dans les toilettes des garçons à l’heure de la récréation. J’ai demandé à V. ce qu’elle fabriquait. Elle m’a répondu avec le plus grand naturel : « C’est pour aider David à faire pipi droit. Je lui tiens son zizi. » David vient d’être circoncis, et il aurait en quelque sorte du mal à… viser. Je vous rassure, à cinq ans, ce genre de jeux n’a rien d’anormal. Je voulais juste que vous soyez informée.
 
Un jour, ma mère prend une décision irrévocable. Profitant du séjour en colonie de vacances qu’elle a secrètement planifié pour procéder à notre déménagement, elle quitte mon père, sans retour. C’est l’été qui précède mon entrée au cours préparatoire. Le soir, une monitrice me lit, assise sur le rebord du lit, les lettres dans lesquelles ma mère décrit notre nouvel appartement, ma nouvelle chambre à coucher, ma nouvelle école, mon nouveau quartier, bref, la nouvelle disposition de notre nouvelle vie, lorsque je rejoindrai Paris. Du fin fond de la campagne où l’on m’a expédiée, au milieu des cris d’enfants redevenus sauvages en l’absence de leurs parents, tout cela me paraît bien abstrait. La monitrice a souvent l’œil humide et la voix brisée tout en me faisant à haute voix la lecture de ces courriers maternels faussement enjoués. Après ce rituel du soir, il arrive qu’on me retrouve la nuit, à cause d’une crise de somnambulisme, en train de descendre les escaliers à reculons, en direction de la porte de sortie.
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Oui, alors là, d’accord, notre passion extraordinaire aurait été sublime , c’est vrai, si j’avais été celle qui l’avait poussé à enfreindre la loi par amour, si au lieu de cela G. n’avait pas rejoué cette histoire cent fois tout au long de sa vie ; peut-être aurait-elle été unique et infiniment romanesque, si j’avais eu la certitude d’être la première et la dernière, si j’avais été, en somme, dans sa vie sentimentale, une exception . 
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Très souvent, dans les cas d’abus sexuel ou d’abus de faiblesse, on retrouve un même déni de réalité : le refus de se considérer comme une victime. Et, en effet, comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ?
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Chaque jour, grâce à moi, il assouvissait une passion réprouvée par la loi, et cette victoire, il la brandirait bientôt triomphalement dans un nouveau roman.
Non, cet homme n’était pas animé que des meilleurs sentiments. Cet homme n’était pas bon. Il était bien ce qu’on apprend à redouter dès l’enfance : un ogre.
Notre amour était un rêve si puissant que rien, pas un seul des maigres avertissements de mon entourage, n’avait suffi à m’en réveiller. C’était le plus pervers des cauchemars. C’était une violence sans nom .
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Ce qui a changé aujourd’hui, et dont se plaignent, en fustigeant le puritanisme ambiant, des types comme lui [GM] et ses défenseurs, c’est qu’après la libération des mœurs, la parole des victimes, elle aussi, soit en train de se libérer.
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Le manque, le manque d’amour comme une soif qui boit tout, une soif de junkie qui ne regarde pas à la qualité du produit qu’on lui fournit et s’injecte sa dose létale avec la certitude de se faire du bien. Avec soulagement, reconnaissance et béatitude .
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