Face à lui, l’écrivain et l’intellectuel, je manque cruellement de vocabulaire. Je ne connais ni le terme de « pervers narcissique », ni celui de « prédateur sexuel ». Je ne sais pas ce qu’est une personne pour qui l’autre n’existe pas. Je pense encore qu’il n’y a de violence que physique. Et G. manie le verbe comme on manie l’épée. D’une simple formule, il peut me donner l’estocade et m’achever. Impossible de livrer un combat à armes égales.
Dans les ouvrages de G., on est loin de toute contrition, et même de tout questionnement. Pas une trace de regret, aucun remords. A le lire, il aurait presque été mis au monde pour apporter aux adolescents l'épanouissement qu'une culture étriquée leur dénie, les ouvrir à eux-mêmes, révéler leur sensualité, développer leur capacité à donner et à se donner.
Tant d'abnégation mériterait une statue au jardin du Luxembourg.
S'emparer avec une telle brutalité de l'image de l'autre, c'est bien lui voler son âme.
Que ce soit dans cet ouvrage (Les moins de seize ans), ou dans la pétition que G. publiera trois ans plus tard, lorsqu'on y regarde vraiment de près, ce ne sont pas les intérêts des adolescents qu'il défend. Mais bien ceux des adultes "injustement" condamnés pour avoir eu des relations sexuelles avec eux.
Un père aux abonnés absents qui a laissé dans mon existence un vide insondable. Un goût prononcé pour la lecture. Une certaine précocité sexuelle. Et, surtout, un immense besoin d'être regardée.
Toutes les conditions sont maintenant réunies.
Certains livres sont d’excellents médicaments. Je l’avais oublié.
L'Église est faite pour les pécheurs.
Depuis tant d’années, je tourne en rond dans ma cage, mes rêves sont peuplés de meurtre et de vengeance. Jusqu’au jour où la solution se présente enfin, là, sous mes yeux, comme une évidence : prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre.
Depuis que j’ai lu les livres interdits, ceux qui étalent sa collection de maîtresses et détaillent ses voyages à Manille, quelque chose de visqueux et sordide est venu recouvrir chacun de ces moments d’intimité dans lesquels je ne parviens plus à voir la moindre trace d’amour. Je me sens avilie, et plus seule que jamais.
G. est ressorti de la Préfecture de police, quai de Gesvres, assez amusé, satisfait d'avoir embobiné l'inspectrice et ses collègues. " Tout s'est déroulé à merveille, fanfaronne-t-il dès son arrivée. Les policiers m'ont assuré qu'il ne s'agissait que d'une formalité administrative. Des lettres de dénonciation concernant des célébrités, vous savez, Monsieur, on en reçoit des centaines par jour, a déclaré l'inspectrice." Comme toujours, G. est persuadé que son charme irrésistible a opéré. Ce qui n'est pas improbable.