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Critique de Nastasia-B


Cela commençait bien. Cela commençait même TRÈS bien : j'étais embarquée, je trouvais l'écriture à la fois plaisante et poétique ; les paysages, l'ambiance, tout me convenait. Et puis...

Et puis, peu à peu, j'ai eu le sentiment de m'enliser. Page après page, l'expérience devenait moins plaisante, des atermoiements, une impression vague d'être dans une barque, de ramer et de rester toujours à la même place, de ne m'approcher de rien.

Et puis, à la fin de la première moitié du roman, la disparition du personnage qui paraissait le plus intéressant, le plus prometteur est venue mettre un coup d'arrêt très net à mon plaisir. La suite devint ennui, puis effort et finalement, je me trouve très contente d'en finir, car aller plus loin m'eût été pénible.

C'est dommage, très dommage, car j'ai vraiment le sentiment que Jón Kalman Stefánsson avait les moyens de me faire vivre une très grande expérience littéraire et, tout bien considéré, une fois le livre achevé, mon impression confine plus à la déception qu'à l'extase.

Pourquoi ? En littérature, selon moi, il y a deux types de héros : l'archétype, c'est-à-dire un héros qui n'est pas forcément amené à changer, mais dont les manières et le type sont tellement bien trempés, bien campés, qu'ils en font un personnage très marquant. Don Quichotte en est un, Cyrano de Bergerac (le fictif) en est un autre ou bien encore le fameux Sherlock Holmes.

L'autre type de héros — selon moi le plus intéressant — est constitué par l'évolution qu'il subit en étant confronté aux événements. Il partait d'un état initial A, il subit x, y, z situations auxquelles il doit faire face, ce qui le modifie et le fait parvenir à un état final B. C'est cette transformation, ce passage de A à B qui intéresse le lecteur, en tout cas qui m'intéresse, moi. Elizabeth Bennet en est une, Candide ou Eugénie Grandet en sont d'autres, s'il faut donner des exemples.

Or, dans Entre ciel et terre, qu'en est-il ? le personnage à tendance archétypale était Bárđur : rude marin islandais et pourtant lettré et poète. C'était intéressant, on avait envie de savoir ce que LUI ferait devant telle ou telle alternative que la vie lui offrirait. Or, il meurt bêtement au beau milieu de l'ouvrage, sans qu'on ait bien eu le temps de couvrir, de parcourir l'ensemble de l'archétype qu'il représentait.

Qui nous reste-t-il ? le personnage du gamin. Lui semble plutôt être un personnage dont on prendra plaisir à mesurer les évolutions. On se dit qu'il est un peu comme un genre d'Adso auprès de l'archétype Guillaume de Baskerville. Et puis... et puis lui aussi se consume avant que d'avoir brillé. FLOUF ! Plus rien, c'est déjà fini.

À un moment, j'ai cru que son destin allait prendre un tour intéressant au contact de la troublante autant qu'énigmatique Geirƥrúđur, mais là encore, PFOUIT ! rien du tout, c'est déjà fini.

Donc premier problème, selon moi, le manque de héros véritable. Alors, se dit-on, l'intérêt résiderait dans le fait de dépeindre une assemblée, une ambiance, de nous plonger dans un monde révolu, celui des villages de pêcheurs islandais de la fin du XIXème siècle.

Mais là encore c'est bancal : un alignement de personnages, comme autant de coquilles vides, n'a jamais fait une atmosphère. Pour s'en faire une opinion à pareille époque, autant lire Pêcheur d'Islande de Pierre Loti. Afin d'argumenter ce point précis, je m'en vais convoquer une citation d'Edith Wharton dans son ouvrage, Les Règles de la fiction :

« On produit un effet bien plus profond en se livrant à l'étude pénétrante de quelques personnages, au lieu de multiplier les silhouettes vaguement dessinées. Ni le romancier ni le dramaturge ne devrait s'aventurer à créer un personnage sans le suivre jusqu'au bout de l'action, et sans être sûr que cette dernière serait appauvrie par son absence. Les personnages dont la fonction n'a pas été précisément définie à l'avance risquent de devenir aussi déplacés que des intrus. »

Enfin, ce qui fut pire encore, pour moi, à la lecture, ce sont les moments où l'auteur plaque des réflexions ou des manières de penser contemporaines sur des actions passées, censées relever de la fin du XIXème siècle. Il crée ainsi un anachronisme qui a eu pour effet de me décoller de son histoire, de m'y sentir extérieure, c'est-à-dire l'inverse de ce qui serait souhaitable, de mon point de vue, à savoir, l'immersion du lecteur dans l'histoire ou dans l'ambiance donnée.

Bref, pour moi, toujours pas le premier grand roman du XXIème siècle : ce fut une puissante et stimulante eau à la bouche, presqu'immédiatement suivie par une vilaine amertume, d'où cette appréciation finale fort mitigée. Mais, comme à chaque fois, je vous invite à consulter d'autres opinions à propos de cette même lecture — qui semble avoir eu des effets tout autres sur quantité d'autres lecteurs —, car cet avis ne représente, somme toute, que l'expression de mon avis, c'est-à-dire, une mince parcelle de subjectivité coincée entre ciel et terre, autant dire, vraiment pas grand-chose.
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