Samuel savait chevaucher les livres et garder son équilibre au milieu des idées comme un homme qui descend un torrent tumultueux en canoë. Mais Tom creusait entre les idées, faisait son tunnel comme une taupe, et ressortait à la surface le visage et les mains tachées de lecture.
Lorsqu'un enfant, pour la première fois, voit les adultes tels qu'ils sont, lorsque pour la première fois l'idée pénètre dans sa tête que les adultes n'ont pas une intelligence divine, que leurs jugements ne sont pas toujours justes, leurs idées bonnes, leurs phrases correctes, son monde s'écroule et laisse place à un chaos terrifiant. Les idoles tombent et la sécurité n'est plus. Et, lorsqu'une idole tombe, ce n'est pas à moitié, elle s'écrase et se brise ou s'enfouit dans un lit de fumier. Il est difficile alors de la redresser et, même réinstallée sur son socle, des tâches ineffaçables dénoncent la chute passée. Et le monde de l'enfant n'est plus intact. Il se meut alors péniblement jusqu'à l'état d'homme.
« Je n’ai pas souhaité beaucoup de choses dans ma vie, commença-t-il, j’ai appris très tôt à ne pas demander. C’est une source de déceptions. »
Abra était devenue une ravissante jeune fille. Ses seins gonflaient avec la levure des années et son visage reflétait le calme et la chaleur de la beauté.
Dessie n’était pas belle – peut-être même pas jolie – mais il émanait d’elle cette lumière qui pousse les hommes à suivre certaines femmes dans l’espoir de capter quelques rayons.
« L’avare n’est qu’un homme apeuré qui se cache dans une forteresse d’argent. »
C’était un de ces soirs précoces d’hiver où le ciel est chargé d’étoiles et où la terre semble deux fois plus obscure tant les étoiles brillent. Les collines étaient silencieuses. Nul animal ne bougeait, ni mangeur d’herbe ni rapace, et l’air était si calme que les feuilles des chênes verts se détachaient immobiles sur la Voie lactée.
- J’aime mes collines poussiéreuses, dit Samuel. Je les aime comme une chienne aimerait son petit éclopé. J’aime chaque silex, chaque pierre qui casse le soc de nos charrues. J’aime l’humus maigre et nu. J’aime le cœur sec de mes collines, car quelque part dans ce tas de poussière il y a la richesse.
Des livres entraient dans la maison, quelques-uns secrètement. Samuel savait chevaucher un livre et garder son équilibre au milieu des idées, comme un homme qui descend un torrent tumultueux en canoë. Mais Tom creusait entre les idées, faisait son tunnel comme une taupe et ressortait à la surface, le visage et les mains tachés de lecture.
«- Non, non, merci. Il faut que j’aille dormir. Chaque année qui passe, les nuits semblent plus courtes. »