Mais , ce n'est pas notre faute s'il perd son emploi. Pourquoi faut-il qu'il nous punisse pour ça ?"
Vendela sourit tristement à son fils.
"Qui d'autre pourrait-il punir ?"
A vrai dire, elle avait un peu honte de s'être laissée effrayer. Elle était adulte, elle ne devrait plus avoir peur du noir.
C'était digne d'un mauvais roman d'amour, où la noble héroïne supporte tout et se voit récompensée par un amour et un bonheur éternels. Mais il n'y avait que dans les livres qu'il suffisait à une femme de se sacrifier pour résoudre ses problèmes. Dans la vraie vie ne restait que la sensation dévastatrice d'avoir été roulée dans la farine.
C'était la pire tempête d'automne de mémoire d'homme. Le vent se déchaînait et les vagues battaient contre les pontons goudronnés. Personne ne se risquait en mer, on se blottissait chez soi en écoutant la pluie crépiter contre les carreaux. Les bateaux tiraillaient leurs amarres et leurs propriétaires redoutaient que les câbles ne résistent pas .
La bourrasque soulevait le sable, dont les grains les plus fins pénétraient par les interstices des portes et des fenêtres. On avait beau balayer, impossible de garder le sol propre. Les insulaires trouvaient du sable dans leurs aliments et leurs boissons. Le sable se glissait partout, irritait les yeux et la gorge.
Sandhamn se terrait.
C’était une des plus belles villas de Sandhamn, construite à grands frais à la fin du dix-neuvième siècle. Il y avait même une baignoire à pattes de lion, une nouveauté dont personne n’avait jusqu’alors entendu parler sur l’île.
Thorwald avait entendu son père raconter le jour où le colis avait été déchargé du vapeur. Un gros paquet soigneusement emballé. Arrivé à la fin de son histoire, Gottfrid avait ricané bruyamment. La famille Brand devait se croire trop distinguée pour se décrasser dans une bassine posée sur le sol de la cuisine, comme des gens normaux.
Il est bien sûr difficile de se prononcer sans avoir rencontré les personnes concernées, mais, en théorie, ça pourrait se tenir. Cela peut semble absurde, mais on dirait qu'une sorte d'égalité a été rétablie entre les deux branches de la famille.
"Pourquoi il ne m'aime pas?"
La question resta suspendue. Ils savaient tous deux de qui il s'agissait.
Le pouvoir absolu du père n'était pas un sujet qu'ils abordaient à la maison.
C'était une vérité qui n'avait pas besoin d'être énoncée, elle était aussi évidente qu'intangible. L'avis de Gottfrid avait force de loi.
Et voilà que Thornwald l'exprimait au grand jour.
Gottfrid ne l'aimait pas, lui son propre fils.
Louise enroula sa mèche de plus belle.
Elle va finir par l'arracher, pensa Thomas.
On ne parle pas de ça. A personne. Ce sera notre secret.
« Arrête de t’inquiéter, maman. Change de disque. Je ne suis plus un bébé, tu vois ? »
Hanna la comprendrait très bien. Toutes les mères s’inquiétaient. Surtout quand elles avaient des filles. Cela faisait partie du jeu.
Elle pensait en avoir fini avec les veilles et les nuits agitées maintenant que Lina était grande. Quelle erreur ! Aujourd’hui, quand elle n’arrivait pas à s’endormir avant le retour de Lina, elle regrettait l’époque ou elle était petite, ou ce qui pouvait lui arriver de pire, c’était de se réveiller après avoir fait un cauchemar. On y remédiait par un câlin et éventuellement un biberon de bouillie. Si cela ne suffisait pas, restait à la porter dans le grand lit, ou elle ne tardait pas à se rendormir. On y gagnait des petits coups de pied dans le dos toute la nuit, mais ce n’était rien comparé à l’anxiété qui la rongeait ces dernières années.