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Je ne me doutais pas en m'emparant de ce livre couleur safran, maison d'édition oblige, je suppose, en le choisissant justement pour son orangé qui invariablement chez moi ravive le doux souvenir d'un célèbre dinosaure télévisuel (tant pis, j'assume), je ne me doutais pas, disais-je, à sa couverture soyeuse et à son titre fleuri (tiré d'une magnifique citation de Pablo Neruda) que l'auteure allait proposer de nous plonger à l'opposé du doux, du soyeux et du fleuri, dans un univers d'acier, de bruit, d'incandescence et de métal en fusion, le tout avec un arrière-plan de crise et de lutte ouvrière.
En Moselle, la vallée de la Fensch déroule ses usines sidérurgiques et ses menaces de fermeture. Des logiques financières de grands groupes sont à l'oeuvre, dépassant complètement voire méprisant la volonté farouche de centaines d'ouvriers de maintenir l'activité du dernier haut-fourneau d'Aublange, la volonté de poursuivre un métier qui avait été garanti à vie aux générations précédentes, récompense attendue, telle un accord tacite inoxydable pour prix de la dureté et du danger. Des logiques qui font fi d'une rentabilité pourtant immédiate et d'une demande mondiale évidente sur l'acier. Derrière l'histoire d'Aublange, c'est celle, réelle, mouvementée, douloureuse de Florange (son usine, son projet de nationalisation temporaire, sa loi du même nom) qui nourrit l'inspiration de l'auteure.
Trois hommes vont se retrouver au coeur de la lutte et donner une dimension chorale au roman.
Pierre Artigas, fils d'immigrés espagnols venus tenter leur chance en Lorraine à l'époque où elle embauchait, est tombé amoureux du métier à la minute où il a assisté au spectacle de la fonte en fusion (le lecteur aussi est fasciné tant l'auteure sait magnifiquement le décrire et le faire partager). D'abord ouvrier « par défaut », pour cause d'ascenseur social bloqué, Pierre s'est efforcé de devenir un excellent fondeur, fier de ses gestes et de son expérience, conscient du savoir-faire hérité. le syndicalisme est une affaire de famille chez les Artigas (parfois payée au prix fort). Lorsque la menace de fermeture de l'usine à chaud se concrétise, Pierre s'implique sans compter pour l'empêcher. Avec sa bouille charismatique et son verbe haut, il devient vite le chouchou des médias tout autant qu'un symbole. C'est l'ouvrier qui refuse de se soumettre tandis qu'Aublange et son avenir incertain font figure de miroir du déclin industriel français.
Daniel Longueville, fils d'ouvriers lui aussi mais pas spécialement fier de l'être. A eu très vite la volonté chevillée au corps de s'extirper de son milieu, est devenu avocat d'affaires puis est entré dans la carrière politique : député, ministre et ne compte pas s'arrêter là. A le verbe haut lui aussi mais ne le met pas au service des mêmes causes. Vivait assez bien son statut de transfuge social (pour employer un terme cher à Annie Ernaux) jusqu'à ce que le dossier Aublange et ses enjeux lui rappellent que dignité ouvrière ne forme pas un oxymore.
Max Oberlé, sculpteur coté dont les oeuvres monumentales sont commandées par les salles d'exposition les plus prestigieuses. Issu de la grande bourgeoisie, il n'a jamais eu à se préoccuper du sort des ouvriers, a accompli son parcours professionnel en solitaire en rencontrant certes reconnaissance et notoriété mais sans jamais éprouver la joie de la fraternité, de l'appartenance au groupe et des "espoirs partagés". Âgé et malade, il est ému par le combat des "Aublanges" et aimerait que son Monumenta, tout en acier lorrain, témoigne de leur savoir-faire et serve leur cause.
C'est avec une très belle qualité d'écriture qu'Isabelle Stibbe rend compte de l'âpreté de cette lutte et des enjeux humains qui lui sont attachés. le vocabulaire est juste, pertinent, riche ; le style s'autorise quelques envolées lyriques ou musclées mais toujours bien dosées. L'auteure semble à l'aise dans la pugnacité (des réflexions bien senties sur les dommages du libéralisme et de la mondialisation) comme dans l'évocation poétique, presque nostalgique déjà d'un monde ouvrier appelé à se justifier d'exister encore. Mais l'on perçoit que, tel un chevalier, elle bataille justement contre une nostalgie possible qui signifierait que cette activité se conjugue au passé, activité qu'elle veut présente, réelle et non masquée par des parcs d'attraction ou des musées, des ouvriers qu'on laisse travailler, tout simplement.

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La vallée de la Fensch en Moselle n'est plus la vallée des anges, elle va devenir la vallée de la mort. La mort de la sidérurgie, l'arrêt des hauts-fourneaux pour une vile question d'argent. Il faut le savoir, à Florange, pardon Aublange dans le livre, il y a des commandes, il y a du travail, mais l'indien comme ils l'appellent en a décidé autrement.
« Cette journée qui aurait dû être radieuse sous le soleil aguicheur mais non, putain de journée de juin, se lever et entendre ça, se prendre ce coup de poing dans la gueule qui les laisse là, sonnés, au bord de l'asphyxie, avec ce sentiment de vide qui doivent connaître au réveil les soldats amputés ». le ton est donné, ce sera brut du côté du syndicaliste. Il parle avec ses tripes, avec sa peur au ventre, son désir de continuer ce travail si dur, si rude, mais qu'il aime, le mot est presque faible « C'est extraordinaire, quand tu vois la fonte en fusion qui jaillit, ce feu qui se déverse avec une puissance incroyable et que tu assistes à ça, c'est tellement plus grand que toi que tu ne voudrais être ailleurs pour rien au mode, et là tu l'aimes ton usine, tu l'as dans la peau. Après tu as beau revoir ce spectacle cent mille fois, tu ne t'en lasses jamais »
Alors, ils se battent et Isabelle Stibbe nous raconte cette bataille.
Ce livre écrit à partir de faits réels est ancré dans la réalité politique de l'élection présidentielle, la victoire du parti socialiste et, surtout, les espoirs que cette élection, suite aux promesses faites, a induit.
Livre à 3 voix et 3 couleurs.
Max (gris), le sculpteur au vocabulaire plus littéraire, plus sensuel « J'applique mes paumes contre la surface cimentée, comme un pianiste plaquerait un accord final. Je plonge dans le gris, m'en imbibe, deviens gris moi-même, m'étonne que ce soit si simple ». Son coeur est à gauche, mais, venant d'un milieu privilégié, il ignore le monde ouvrier, non pas par mépris, mais simplement parce que cela ne fait pas partie de son environnement. Il découvre Pierre « … quand un homme d'une cinquantaine d'années a accroché mon attention…. Ce type se bat pour sa peau. » et décide de créer sur le site d'Aublange sa sculpture gigantesque
Avec Pierre, le syndicaliste (rouge), c'est du brut, ça cogne mais ça pleure aussi. Ce fils d'immigré espagnol, syndicaliste dans l'âme, est l'incarnation de l'ouvrier selon Saint Media. « Ils viennent tous là pour nous interviewer, nous filmer, nous photographier, mais ils ne regardent pas l'usine comme nous. » Il se bat, avec ses camarades et les autres, pour sauver leur outil de travail, pour sauver leur vie, leur peau.
Daniel (blanc), ministre est souvent dans l'introspection, dans le doute. Fils d'ouvriers, il a tout fait pour oublier ses origines mais ressent dans ses fibres la fermeture des aciéries. Il est chargé de trouver une solution au problème d'Aublange.
Isabelle Stibbe nous raconte cette bataille. Son tour de force ? Changer de ton, de vocabulaire, de style pour chacun des trois intervenants, d'y avoir mis de la tripe, de l'humanité, de la poésie, de la beauté, de la vraisemblance.
J'ai vu vivre ces 3 personnages si différents qui, chacun à sa façon, lutte t pour ne pas que « l'Indien de mes couilles » ferme les hauts-fourneaux. Max, Pierre, Daniel nous livrent leurs états d'âme, leurs combats, le cheminement, la maturation de leurs pensées.
Un sacré bouquin, une belle écriture. Isabelle Stibbe se fait peintre, poète lorsqu'elle décrit le fer en fusion, se fait journaliste, polémiste, conteuse.
Une lecture passionnante où j'ai ressenti l'urgence, le temps de la lutte, de l'espoir. le temps de l'analyse viendra plus tard.
« Tout à coup le silence. La boucheuse a injecté la masse d'argile réfractaire dans le trou de coulée. Un couvercle sur leur tombe. Cette fois, c'est vraiment la dernière coulée. »

Isabelle Stibbe écrit en exergue de son livre une très belle phrase pleine d'espoir de Pablo Neruda : « Nos ennemis peuvent couper toutes les fleurs mais ils je seront jamais les maîtres du printemps ».

J'aime le toucher de la couverture de ce livre tout de douceur dans sa couleur orange. Oui, comme le dit la 4ème de couverture, ce livre a du Zola, du Victor Hugo dans les veines. Quelles descriptions, quelles envolées ! C'est beau car vivant.
Vous l'avez compris : C'est un coup de coeur

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Petite découverte de ce livre à l'écriture ciselée, au charme poétique, d'humeur familière, aux cris Cyniques, d'un sujet brulant touchant notre société présente, notre quotidien, c'est le combat entre l'humanité et le pouvoir de l'argent.
Les maîtres du printemps, d'Isabelle Stibbe, est un roman qui retrace le combat d'une région, la Lorraine, d'une ville, Aublange, de ces ouvriers, des Hauts fourneaux d'Aublange, et de l'histoire de ces trois hommes que tout oppose. Un métallurgiste syndicaliste d'origine espagnol, un politicien socialiste ministre de l'Industrie issu d'une famille ouvrière et un Sculpteur de renom octogénaire atteint d'un cancer dans sa dernière oeuvre Antigone... Un chassé-croisé entre ses trois personnages où leurs pensées tissent la toile de l'intrigue de ce roman. Isabelle, dans cette recherche de proximité, entremêlent les diverses émotions de ces trois hommes entre réflexions, réponses à des questions, discours, lettres, avec cette écriture plus intime. le sujet fait écho à celui de Florange et de la lutte des ouvriers pour garder en vie cette région avec la préservation de ses emplois…
Nous pénétrons dans les coulisses et les états d'âme de tous ses protagonistes dans la lutte humaine face au pouvoir des finances, ce combat de certains hommes face à leur destin et leur passé, source d'un avenir marqué au fer rouge, prisonnier incertain de cette enfance perdu dans l'abime de leur carrière...
Ce roman court pose cette question sociétale de l'argent, du chômage, du choix, d'avenir, de l'espérance, de la lutte, des ambitions, de la politique, de ces maux qui gangrènent la vie.
La poésie du portrait de ces hauts fourneaux où la lave chante, où la mélodie prosaïque d'Isabelle Stibbe caresse avec émotion la chaleur fusionnelle de cette naissance de l'acier. Un roman juste à la saveur légère du roman d'Émile Zola, Les Rougon-Macquart, tome 13 : Germinal.
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Les hauts-fourneaux de Lorraine et leur fermeture annoncée. Pierre le métallurgiste plein de panache, figure de proue du mouvement de grève qui attire les journalistes dès qu'il ouvre la bouche. Max le sculpteur, dandy octogénaire à qui le Grand Palais a commandé une oeuvre monumentale et qui souhaite la réaliser à partir d'acier français, symbole d'un savoir-faire unique dont la disparition serait un drame national. Daniel le député, coeur à gauche depuis l'enfance, devenu ministre de l'industrie après la victoire socialiste à l'élection présidentielle et qui se saisit du dossier des hauts-fourneaux avec, chevillée au corps, la certitude de trouver une solution. Trois hommes et un même combat, celui de l'humain face à la voracité et la perversité des marchés : « ils sont la dignité combattante. Ils tomberont peut-être mais ils mourront debout. »

Un superbe roman choral, inspiré par la fermeture de Florange, où l'ouvrier, l'artiste et le politique prennent la parole à tour de rôle et vivent à leur manière les derniers mois d'un site industriel condamné à disparaître. Un texte à la prose habitée qui prend forcément parti. Un texte loin des modes actuelles sur lequel planent les ombres d'Hugo et Zola. La violence d'une réalité sociale insupportable est contrebalancée par une solidarité toujours présente et par une lutte collective sans arrière pensée. La peur, la colère, la perte de confiance et la désillusion sont exprimées sans caricature, tandis que la description très documentée du fonctionnement du haut-fourneau, « géant vorace avalant à grande goulée minerai de fer et charbon » se révèle d'un lyrisme inattendu.

Une littérature engagée comme j'aime et comme on n'en fait (presque) plus. Loin d'une dénonciation pure et dure et sans nuance, Isabelle Stibbe offre une réflexion profonde, sensible, lucide et argumentée sur le monde tel qu'il est et sur les réalités d'un univers ouvrier sans avenir face une mondialisation galopante.

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Magnifique roman choral sur les Hauts Fourneaux de Florange en Lorraine. Trois personnages : Un métallurgiste, un sculpteur et un député aux dents longues. A priori, ils n'ont aucun point commun...seule l'envie de sauvegarder ces Hauts Fourneaux qui ont fait vivre des centaines de familles pendant plusieurs générations et qui malheureusement vont partir en fumée. Tiré d'une histoire vraie...
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Ce livre est une force et sa poésie, glorieuse. Lutte sociale mais aussi, à travers les trois personnages que l'on découvre peu à peu jusqu'en leur pensée intime, des idées liées à l'identification de classe à laquelle on appartient de naissance ou pas. Des politiques censés représenter le peuple et dont certains n'en connaissent que la bourgeoisie, l'élite. Des mondes, dont certains sont fracturés comme celui des ouvriers, qui ne se rencontrent pas : des castes en somme. Comment dans cette situation peut-on espérer compréhension, bienveillance, reconnaissance et considération ? L'humanité a encore un long chemin à parcourir avant de se révéler. Ce livre est aussi un véritable plaidoyer pour une gauche pourvue de valeurs de gauche et un avertissement bien d'actualité…
Après son magnifique roman « Bérénice 34-44 » c'est un grand pavé dans la mare sociétale que jette Isabelle STIBBE
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Très directement inspiré de la fermeture du denier haut fourneau lorrain, le site continue d'ailleurs aujourd'hui à fournir de l'acier très haut de gamme élaboré à froid, Isabelle Stibbe nous livre un roman à trois voix, qui racontent dans un laps de temps très réduit entre l'annonce de l'extinction par l'indien désormais propriétaire du groupe fleuron des Wendel, la dernière coulée et le suspens sur l'avenir du site juste après l'élection du président Hollande où la nationalisation était presque décidée ?...
Ce temps de tensions sociales extrêmes est en fait l'occasion de trois méditations, introspectives, entrecroisées sur le destin individuel, les marqueurs de l'enfance, l'ambition, les doutes, les regrets aussi, qui tiennent une place centrale.
Pierre le syndicaliste veut y croire et lutte contre son désespoir lucide, c'est aussi un ancien excellent ouvrier passionné pour la fonte "phase liquide ". Max artiste sculpteur très bourgeois-équilibré découvre la solidarité et se demande s'il n'est pas passé à côté de l'essentiel en croyant avoir réussi sa vie , il a 80 ans.... L'heure du bilan.... Daniel homme politique,
ministrable, puis ministre répond au questionnaire de Proust, ce qui structure son récit, ses doutes, sa honte d'être d'origine sociale populaire et ouvrière, honte qui le sublime au fond dans son combat pour tenter de donner un avenir au site.
Ce roman a une vraie force poétique sur ce monde des usines, des hauts-fourneaux lorrains , de la force de la culture ouvrière vue de l'intérieur.
J'ai aimé cette manière originale, structurée de traiter le sujet, par le lien entre des personnes et des événements qui à la fois les dépassent et les forgent pour devenir des héros. Pour finir et pour vous donner un aperçu de la tonalité que je trouve très juste du roman, eu égard à l'échelle des problèmes sociaux engendrés par ces suppressions de grands sites industriels régionaux et dont la rationalité économique de long terme nous échappe, je m'autorise à citer la phrase qu'Isabelle Stibbe a choisit de mettre en exergue de son dernier chapitre :
" Faire au sort violence est l'humeur des héros . Et ce désespoir-là seul et grand et sublime Qui donne un dernier coup de talon a l'abîme "
Victor Hugo
Combattre et résister c'est aussi se donner de l'air pour affronter la vie, ses nouvelles donnes subies, parfois subites ... Pour soi ou pour les autres .

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« Les Maîtres du printemps « est un roman choral, articulé à partir de trois personnages principaux, dont les vies vont s'entrechoquer, se répondre, se faire écho.
Le premier acteur, Pierre Artigas, est métallurgiste à Aublange, localité de Moselle , de la vallée de la Fentsch, région de tradition industrielle autrefois propriété du comité des forges, et par voie de conséquence de la dynastie des de Wendel .Pierre, ainsi qu'il est nommé dans le récit, est syndicaliste, descendant d'immigrés espagnols ; il croit à la solidarité ouvrière, à l'importance de la perpétuation de l'industrie, à la perpétuation de la dignité ouvrière .Il s'implique sans compter dans des actions de toutes sortes : piquets de vigilance, interview auprès des médias pour faire céder « L'Indien » le propriétaire des hauts-fourneaux d'Aublange, peu désireux de prolonger l'activité industrielle en Lorraine
Le second acteur est Max OBerlé, sculpteur de renom, atteint d'un cancer qui lui laisse peu de chances de survie vu son grand âge –quatre-vingts ans, a pour dernier projet unes statue d'Antigone dans la nef du Grand-Palais .Il se laisse convaincre par des membres du ministère de la Culture, qu'il peut contribuer à la survie du site en sculptant à partir de l'acier produit à Aublange.

La dernière partie prenante est Daniel Longueville, homme politique, député du parti socialiste. Il convoite un maroquin, le portefeuille du ministère de l'Industrie, qui, il l'espère, lui permettra d'imposer nationalisation provisoire du site d'Aublange, et de sauver la production d'acier locale .Cet homme est en rupture, par rapport à ses origines modestes, il tente d'acquérir les codes pour s'imposer dans cet univers politique, cruel, implacable, surtout vis-à-vis de ceux non issus du sérail …
Isabelle Stibbe décrit l'intimité des réflexions de ces trois hommes, leurs ressorts les plus secrets, les plus intimes ; chacun contribuant pour sa part à enrichir cette réflexion sur le monde moderne, sur la condition ouvrière, sur l'art, sur le monde moderne, la nécessité de rêver grand, si l'on ne veut pas capituler en rase campagne et renoncer à ses idéaux, à transformer le monde.

L'un des grands mérites de ce roman est d'associer de nouveau la notion de beauté à l'univers ouvrier : celui de la production pure, brute : »Ne me branche pas là-dessus parce que je ne peux plus m'arrêter. C'est extraordinaire quand tu vois la fonte en fusion qui jaillit, ce feu qui se déverse avec une puissance incroyable(…) C'est tellement plus grand que toi que tu ne voudrais être ailleurs pour rien au monde, et tu l'aimes ton usine, tu l'as dans la peau. »
Par ailleurs, les personnages nous attachent en ce qu'ils sont en situation, pour des raisons différentes tenant à leur parcours, de donner le meilleur d'eux-mêmes pour sauver ce site industriel.
Le sculpteur Max OBerlé y voit comme un rempart contre sa propre maladie « L'humanité contre la rigueur de la loi, le coeur contre le calcul politique. La violence de l'histoire d'Antigone faite de morts et de rébellion me paraît la plus proche de la violence en oeuvre à Aublange. (…) Antigone, celle qui dit non, c'est peut-être aussi ma façon, j'y songe soudain, de refuser mon cancer. »

On le voit, le roman d'isabelle Stibbe est un hommage aux héros positifs, au principe espérance .Il renoue avec des courants de la littérature française, Zola, Hugo, Aragon, Vailland, dont certaines citations sont, à bon droit, en exergue de certains paragraphes …Il instille l'idée, saugrenue de nos jours, que l'on ne doit pas, sous prétexte de courber l'échine sous un faux réalisme, renoncer à espérer, à changer le monde, à l'embellir .Peut-on décliner une telle proposition ?Assurément non .
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J'ai lu ce livre un peu par hasard, il fait parti de la sélection Prix Merlieux des Bibliothèque 2016.
J'ai quitté ma Lorraine natale depuis trop longtemps mais en me plongeant dans ce roman j'ai pu retourner à nos repas de famille dans la vallée des "Anges".
Ce fut un grand moment d'émotion que le destin de ces trois hommes que tout oppose mais aussi une belle leçon de solidarité.
Je serai ravie de rencontrer l'auteure en septembre prochain à Merlieux.
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"Le P3 a été mis à l'arrêt."
Le P3 c'est l'avant-dernier haut fourneau encore en activité à Aublange. Quand la menace de fermeture définitive se précise, trois hommes se lancent dans une lutte éperdue pour empêcher l'arrêt. Trois hommes venus d'univers opposés mais tendus vers le même combat désespéré alors que la campagne présidentielle bat son plein.
Daniel, le député ambitieux, honteux de ses origines ouvrières, Max, le sculpteur célèbre qui, au seuil de la mort, fait le constat désenchanté de "n'avoir jamais connu la fraternité" et Pierre, le syndicaliste en colère au charisme flamboyant, remontent, dans de courts chapitres, aux origines de cette résistance.
Car la fermeture des hauts-fourneaux n'est pas seulement synonyme de chômage, de précarité et de désertification. Ce qui tremble de colère et de chagrin, dans le roman d'Isabelle Stibbe, c'est aussi la négation et la destruction brutales de l'histoire et de la culture des métallurgistes. Son écriture porte le drapeau de Zola, d'Hugo, de Jaurès lorsqu'elle décrit les hauts-fourneaux en marche, l'effrayante beauté de la coulée de fonte en fusion, le savoir-faire des hommes et leur "dignité combattante" malgré la fatigue des corps. Elle fouille les ressorts cachés des histoires singulières aussi bien qu'elle embrasse d'un mouvement ample et lyrique les paysages exsangues, privés des hommes qui leur ont donné une âme, génération après génération.
"Les maîtres du printemps" rend aux métallurgistes de Lorraine la part d'honneur et de dignité qui leur a été arrachée. C'est un grand et un très beau roman !
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