Car dans pratiquement toute autre maladie grave, un patient à ce point affligé serait cloué dans son lit, probablement sous l'effet de calmants et branché aux tubes et fils des respirateurs artificiels, mais en tout cas dans une posture de repos et dans des conditions d'isolement. Son invalidité serait inévitable, incontestée et nullement déshonorante. Cependant, la victime d'une dépression n'a pas ce genre d'option et en conséquence se retrouve, à l'instar d'un blessé de guerre ambulatoire, plongé dans d'intolérables situations sociales et familiales. Et là il lui faut, malgré l'angoisse qui dévore son cerveau, offrir à d'autres un visage analogue à celui que l'on associe aux circonstances et aux relations de la vie normale. Il lui faut s'efforcer de parler de tout et de rien, de réagir aux questions, de hocher la tête et de froncer les sourcils d'un air entendu et, même, que Dieu l'aide, de sourire. Pourtant, c'est pour lui une épreuve atroce que de s'arracher quelques mots. (pp. 97-98)
Il est aisé de voir comment cet état est inséparable du système de défense de la psyché : répugnant à se résigner à sa dégradation menaçante, l’esprit annonce à la conscience qui l’habite que c’est le corps, le corps avec ses défauts peut-être corrigibles – et non le précieux, l’irremplaçable esprit – qui menace de se détraquer.
L’alcool fut toujours un associé inestimable et privilégié par mon intellect, sans compter qu’il était un ami dont chaque jour je recherchais les secours – et qu’aussi je recherchais, je le vois maintenant, comme un moyen de calmer l’anxiété et la peur naissante que j’avais si longtemps dissimulées quelque part dans les oubliettes de mon esprit.
L'un de moments les plus mémorables de "Madame Bovary" est la scène où l'héroïne implore le prêtre du village de lui venir en aide..."..."...Je me sentais un peu comme Emma Bovary quant à ma relation avec le psychiatre.
La dépression est un dérangement de l'esprit si mystérieusement cruel et insaisissable de par la manière dont il se manifeste au moi, à l'intelligence qui lui sert de médium - qu'il échapperait pour un peu à toute description.
Aussi demeure-t-il pratiquement inconpréhensible pour qui ne l'a pas lui-même subi dans ses manifestations extrêmes, même si la tristesse, "le cafard" qui épisodiquement nous accablent et que nous attribuons à la tension de la vie quotidienne, sont à ce point répandus qu'ils permettent en réalitéà beaucoup de se faire une idée de la maladie dans sa forme la plus catastrophique.
Il était quatre heures passées et déjà mon esprit était assailli par ses habituels tourments : panique, désintégration, sensation que mes processus mentaux sombraient peu à peu dans un flot délétère et innommable qui oblitérait toute réaction agréable au monde et à la vie.
Et là nous sortîmes pour revoir les étoiles.
Dans les cas de dépression, cette foi dans la délivrance, dans un ultime rétablissement fait défaut. La souffrance est implacable, et ce qui rend cette condition intolérable est de savoir à l'avance qu'aucun remède ne se matérialisera - fût-ce dans un jour, une heure, un mois, ou une minute. C'est l'absence d'espoir qui plus encore que la souffrance broie l'âme.
La folie de la dépression est, en règle générale, l'antithèse de la violence. Certes c'est une tempête, mais une tempête des ténèbres. (p.73)
Que jamais pourtant il ne soit mis en doute que la dépression, dans sa forme extrême, est folie. (p.72)