Styron nous fait ici l'analyse de sa propre dépression. Pour celui qui n'en a jamais ressenti les affres, le mot « dépression » est une notion abstraite et floue. La plupart du temps, et aujourd'hui encore, elle est perçue comme une faiblesse de l'esprit qu'il suffit de combattre avec énergie et volonté. Il s'agit de « prendre sur soi », ne pas « s'écouter ». On va même jusqu'à parler de « lâcheté » en cas d'actes irréparables. Une « dépression » au sens météorologique du terme est une spirale descendante, ce qui est bien le cas ici.
Malheureusement la seule volonté n'y suffit pas puisqu'elle a déserté. le dépressif dérive sans but. Il ne perçoit rien que le néant au point d'envisager le suicide comme une solution comme une autre. Il banalise la mort lorsque la douleur morale, physiquement éprouvée devient trop insupportable, lancinante et sans fin. Cette insurmontable angoisse qui vous terrasse et entraine inexorablement vers le fond. C'est un reniement de soi, une totale dévalorisation, de l'autodestruction. C'est une punition qu'il s'inflige probablement lié à un sentiment de culpabilité.
Comment cette notion peut-elle être concevable par des individus exempts de ces troubles ? Cette notion de folie que Styron lui-même revendique est finalement plus acceptable pour eux. Aujourd'hui, la dépression est reconnue et qualifiée de « maladie » (du siècle même), tant les cas sont nombreux et en sans cesse en augmentation au fil des années (et plus encore avec la pandémie qui nous frappe depuis 2020 !). Mais à l'époque de la rédaction du livre, le phénomène était certes connu mais mal maitrisé par les médecins. La psychiatrie ne faisait pas l'unanimité. Elle prescrivait (comme c'est toujours le cas aujourd'hui) des traitements médicamenteux souvent forts avec des effets secondaires mal connus, en première intention.
La réalité des névroses est aujourd'hui clairement reconnue par la médecine et catégorisées (phobiques, compulsives, obsessionnelles, hystériques…) mais n'est toujours contrôlée que partiellement et très peu acceptée dans le quotidien d'une grande majorité de la population non atteinte de ce fléau.
Styron quant à lui, en brossant un tableau clinique sans complaisance de sa dépression tente d'expliquer aux néophytes ce qui se passe dans sa tête : le mal-être les angoisses, la perte de motivations, l'annihilation de ses envies, son sentiment de carence et d'inutilité. Il essaye de décrire ses symptômes pour faire ressentir ce qu'endurent les dépressifs. Pour leur faire toucher du doigt la profondeur des blessures qu'ils ressentent. Mais ce ne sont que des mots sans ressenti physique pour ceux qui ne sont pas touché. Sans la charge émotionnelle à laquelle ils se réfèrent. Les mots sont une information, on peut s'imaginer sur le moment ce qu'ils veulent dire, mais en aucun cas en ressentir la douleur physique, son ampleur dans la durée (on informe par exemple un tiers que nous avons mal à la tête, ou mal aux dents. Il le sait, il comprend le sens des termes utilisés, mais comment pourrait-il en ressentir la douleur et se représenter que 4h après vous en souffrez encore alors même que l'info lui est sortie de la tête?).
Styron tente de trouver des causes à son mal-être, comme par exemple son corps qui rejette l'alcool qui serait à l'origine de sa dépression alors que ce n'est probablement qu'une première manifestation. Il donne aussi ses positions vis-à-vis des psychiatres, les accusant d'être inefficaces avec un recours automatique à la prescription médicamenteuse (Ce qui n'est pas tout à fait faux). Il prône l'internement comme remède souverain qui aide à retrouver une sérénité intime et profonde en le coupant du quotidien. Ça n'est pas entièrement faux aussi à cela près qu'aujourd'hui on parle de maison de repos et non plus d'internement (réservés pour les « fous » dangereux pour eux-mêmes et pour les autres – schizos, psychopathes, maniaques, etc…) Styron, aux mains de psychologues (et non pas psychiatres) qui lui fournissent écoute et dialogue, dit avoir trouvé le déclic nécessaire pour surmonter les affres de ce marasme et remonter la pente. Là encore, c'est tout à fait vrai qu'il faut un « déclic » (on ne « décide » pas que sa dépression est terminée).
Ce drame personnel, vécu douloureusement est un roman désespéré même si l'on entrevoit un espoir ténu vers la fin. Pour avoir été touchée personnellement par ce mal insondable, cet état des lieux me parle forcément. Je comprends le cheminement qui a dû être le sien, sa descente aux enfers et toutes les étapes décrites puisque ses mots se rattachent à des sensations physiques précises pour moi. Ils font sens. Cependant, je reste sceptique sur la compréhension de l'abime par les non-dépressifs car c'est un cheminement très personnel où l'on se bat avec ses propres démons. Aucun dépressif ne ressemble à un autre puisqu'aucun n'aura la même histoire même si les symptômes peuvent être catégorisés et sont plus ou moins les mêmes.
Pour ma part, et contre toute attente, je n'ai pas perçu de réelle empathie envers l'auteur. Malgré ma compréhension de ce qui frappe l'auteur, je n'ai malheureusement pas vraiment senti de vraies émotions sur les mots de celui-ci. Je n'ai pas discerné la force du propos. Cela reste des allégations dépourvues d'impact réel. Cela reste distant, comme un spectateur parlerait de ce qu'il voit, un constat sans plus.
On passe des premières manifestations de la dépression aux profondeurs de l'angoisse sans réellement ressentir les paliers par lesquels il a dû passer. Je comprends que les descriptions auraient pu paraitre trop pesantes s'il avait tout dit en détail. Pourtant l'écriture ici est noire, sans espoir et apparemment sans issue. Les mots utilisés en attestent. Pour autant, j'ai l'impression d'avoir lu un rapport clinique écrit à froid comme l'aurait fait un médecin et non pas un vécu personnel même si telle en était l'intention. le récit méticuleux me semble en effet rester superficielle. Son histoire personnelle me parait plutôt prétexte à donner son avis sur les traitements et les prises en charge psychiatrique.
Cela ne reste que mon modeste ressenti et ça n'enlève rien aux propos de l'auteur. C'était mon premier essai avec Styron, avant de m'attaquer au pavé qu'est le « choix de Sophie » dont l'adaptation cinématographique m'avait touchée en plein coeur. A lire donc… à suivre…
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Camus, me dit Romain (Gary), faisait de temps à autre allusion au profond désespoir qui l'habitait et parlait de suicide. Il en parlait parfois en plaisantant, mais la plaisanterie avait un arrière-goût de vin aigre, qui n'allait pas sans perturber Romain. Pourtant il n'avait apparemment jamais attenté à ses jours, aussi n'est-il peut-être nullement fortuit que malgré la constance de la tonalité mélancolique, un sentiment de triomphe de la vie sur la mort soit au cœur du -Mythe de Sisyphe- et de son austère message: en l'absence de tout espoir, nous devons néanmoins continuer à lutter pour survivre, et de fait nous survivons-de justesse. (p.43)
La souffrance occasionnée par une dépression grave est tout à fait inconcevable pour qui ne l'a jamais endurée, et si dans de nombreux cas elle tue, c'est parce que l'angoisse qui l'accompagne est devenue intolérable.
Tout d'abord cela n'eut rien de vraiment inquiétant, dans la mesure où le changement était subtil, mais je constatais cependant que le décor qui m'entourait à certains moments se parait de tonalités différentes : les ombres du crépuscule semblaient plus sombres, mes matins étaient moins radieux, les promenades en forêt se faisaient moins toniques, et il y avait maintenant un moment en fin d'après-midi pendant mes heures de travail où une sorte de panique et d'angoisse me submergeait, le temps de quelques minutes à peine...
Quant à ceux qui ont séjourné dans la sombre forêt de la dépression, et connu son inexplicable torture, leur remontée de l'abîme n'est pas sans analogie avec l'ascension du poète, qui laborieusement se hisse pour échapper aux noires entrailles de l'enfer
(Le poète russe Maïakowski avait sévèrement jugé le suicide de son célèbre contemporain Essenine quelques années plus tôt, ce qui devrait constituer un avertissement pour quiconque se sent enclin à condamner l'autodestruction.)
Lorsque l'on pense à ces créateurs, ces hommes et ces femmes dotés de tant de talent, et voués à la mort, on est amené à s'interroger sur leur enfance, l'enfance où tout le monde le sait, les germes de la maladie plongent leurs racines; se peut-il que certains d'entre eux aient eu, alors, une intuition de la nature périssable de la psyché, de la subtile fragilité? Et pourquoi eu furent-ils détruits, tandis que d'autres- frappés de façon similaire - parviennent à s'en sortir?
Seul le silence de RJ Ellory - Bande-annonce
Joseph a douze ans lorsquil découvre dans son village de Géorgie le corps dune fillette assassinée. Une des premières victimes dune longue série de crimes. Des années plus tard, alors que laffaire semble enfin élucidée, Joseph sinstalle à New York. Mais, de nouveau, les meurtres denfants se multiplient Pour exorciser ses démons, Joseph part à la recherche de ce tueur qui le hante. Avec ce récit crépusculaire à la noirceur absolue, RJ Ellory évoque autant William Styron que Truman Capote, par la puissance de son écriture et la complexité des émotions quil met en jeu.
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