Un siècle passe

Quelquefois, par les fenêtres des trains (ils ont l'indiscret privilège de traverser les agglomérations par l'arrière), on aperçoit encore de minuscules potagers amoureusement entretenus. Ce sont les derniers vestiges de temps révolus.

Ces banlieues-là, qui n'ont jamais eu de défenseurs bien sérieux, disparaissent inexorablement, et avec elles les derniers recoins dont l'acquisition ou l'occupation pouvait se faire par des marginaux économiques. Des raisons d'efficacité financière, sociologique, électoraliste souvent, ont pourchassé ces dernières souplesses, ont appauvri le tissu humain, radicalisé les antinomies.

C'est au début des années soixante que les changements grandioses ont vraiment commencé. Les chantiers de grands ensembles se sont mis à proliférer. Parallèlement, s'accélérait la dégradation des anciens centres, de plus en plus impropres à une circulation automobile grandissante. A mesure que les vieux villages se paupérisaient, des projets radicaux germaient dans l'imagination échauffée des édiles. C'est dans ces années-là que les dents des acteurs du drame se sont allongées ; que des appétits se sont révélés féroces. Les trois décennies qui ont suivi sont plaisamment appelées par les analystes économiques « les Trente Glorieuses ». Pour ce qui concerne leur décor, ce fut en effet une apothéose.

Fidèle à son rôle, la banlieue, depuis, continue de refléter son temps. Elle s'adapte ; elle enfle. La pénurie d'espace disponible aidant, les programmes lourds sont édifiés toujours plus loin, en bordure de champs de labour, dans des endroits perdus où les hasards du cadastre les affublent de noms de villages et de lieux-dits aux résonances bucoliques (Chanteloup-les-Vignes !...). Développements qui exigent l'implantation d'une infrastructure routière envahissante, aussi traumatisante pour le paysage que pour les riverains. Traumatisante également pour les automobilistes eux-mêmes, que le hasard mène un jour sur ces réseaux à boucles et qui forcément s'y égarent tant le sens naturel de l'orientation y est contrarié.