Citations sur Saïd (10)
Plus tard on voyagera l'un avec l'autre. On aidera les pauvres et on soignera les éléphants. On imagine un monde qui ira mieux grâce à nous.
On dirait que...
L'Algérie. Ils en parlaient peu. Ils la nommaient peu. L'Algérie, c'était là-bas. C'était avant. L'ailleurs qui se résumait à la photo du cousin, jeune appelé parti presque deux ans dans un bled en Afrique du Nord. (...)
Pas un mot, pas un souvenir pour agrandir l'image. (...) Le cousin s'était fait photographier dans un bled et je croyais que bled c'était le nom du lieu.
Parfois il était dit à la fin d'un repas dominical, quand l'alcool déverrouillait la parole, que le cousin avait eu de la chance d'en être revenu : 'C'est que ça vous tranchait la gorge ces types-là... Et les couilles aussi...'
(p. 9-10)
Ce serait l'Amazonie, il y aurait des crocodiles et des hippopotames. On serait des explorateurs poursuivis par des méchants. On pêcherait du poisson pour vivre. Puis il y aurait une tempête avec du courant très fort. Le bateau tanguerait, il faut s'accrocher au bord. Ne pas tomber dans l'eau à cause des piranhas qui vous dévore en cinq minutes, reste plus que les os. On s'invente des histoires qui ressemblent au film du dimanche soir.
Ma mère, quand elle se rendait au Prisunic de la ville d'à côté, longeait la barre d'immeuble, tête haute, défiant par son port rapide les hommes qui s'installaient dehors dès que le temps le permettait. Pas un regard vers eux mais, moi, je cherchais tous les détails, toutes les différences visibles, car ils étaient la preuve vivante que d'autres pays existaient, que le monde était grand et surtout qu'il était différent au pays d'ici.
La Pologne était une terre éternellement sombre et gelée, une terre dure que mon grand-père avait quittée pour venir travailler dans les mines de fer. L'industrie française avait alors besoin de main-d'oeuvre, tant de jeunes gens morts et ensevelis dans les terres boueuses de l'Ardenne. (...)
Cracovie - Berlin - Metz. L'industrie payait le voyage à toute la famille, ça, mon père le racontait souvent, n'en revenant pas qu'une usine puisse offrir le train à des pauvres, des étrangers de surcroît.
(p. 14)
Le champ est à nous, du moins une partie. L'autre est occupée par les enfants de la longue barre d'immeuble où logent les familles algériennes. De l'autre côté du champ jouent des enfants arabes.
L'alignement des pylônes forme une frontière parfaite entre notre partie du champ et la leur. On ne joue pas avec eux. On ne se parle pas même si on parle souvent d'eux.
Quelques centaines de mètres nous séparent. Tout un monde.
(p.18)
A cause du panneau Interdit, on se fait discret avant d’enter et puis jouer avec un Arabe, c’est interdit aussi.
Personne ne viendra me chercher et maman a dit que le ciel des musulmans ce n’est pas le ciel des catholiques : Dans la religion, on ne se mélange pas. Je claque des dents. Il fait nuit. Rentrer, je dois rentrer, mettre mes affaires à sécher sur le radiateur, bourrer mes chaussures de papier journal, frotter mes mains au-dessus du poêle.
Personne ne s’occupera de moi. Mourir. Il ne suffit pas de vouloir.
Plus tard, je serai musulman.
L'année prochaine, Saïd sera dans le même collège que moi. J'en ai mal au ventre : Comment faire devant les autres ?
Il faudrait changer de collège. Il faudrait que ce soit le mois d'août tout le temps. Saïd, c'est comme un secret.
J’irai un jour là-bas, avec Selma, et peut-être que Saïd viendra avec nous. Je n’en parle à personne, les Français n’aiment pas l’ Algérie.