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Critique de Malaura


Quelle ressemblance existe-il entre Ovide, Rabelais, Stevenson, Toulouse-Lautrec, Debussy, Pessoa ou Tchekhov ?
Soit, ils ont en commun d'être de célèbres artistes, fameux dans leur discipline ; soit, ils sont pareillement de géniaux créateurs, ayant laissé une empreinte profonde dans le limon du temps. Mais ils ont aussi ceci d'analogue de faire partie du livre « Rêves de rêves » de l'écrivain italien Antonio Tabucchi !
Dans ce plaisant petit ouvrage, l'illustre auteur de « Nocturne indien » ou de « Requiem », décédé dernièrement (le 25 mars 2012), s'est transformé en esprit des songes, arpentant la nuit au côté des artistes qu'il a aimés, pour nous en délivrer leurs rêves imaginés.

« Sous l'amandier de ta femme, lorsque la première lune d'août surgit de derrière la maison, tu pourras, si les dieux sourient, rêver les rêves d'un autre »…Mettant en pratique cette ancienne chanson chinoise citée en exergue, Antonio Tabucchi a tenté de remédier à notre état d'ignorance concernant les songes des grands artistes.
Animé depuis longtemps par le désir de découvrir ce qui se cache dans l'esprit au repos des créateurs, quand l'inconscient prend le pas sur le conscient, quand le sommeil s'empare des êtres et les soumet à de singulières visions, l'écrivain italien se fait ici l'égal du dieu Hypnos, s'inscrit en gardien attentif et admiratif de la nuit de ses personnages et, en « appelant la littérature à remplacer ce qui s'est perdu », les expose à un étrange rituel : le récit de leurs songes inventés par ses soins.

Cauchemar, vision, rêve créatif ou prémonitoire, les songes qui s'agitent sous le crâne de ces génies créateurs sont entièrement liés à leur Art, ils deviennent même pour bonne part principe même de leur création.
Une nuit, le « poète et courtisan » Ovide, l'auteur des « Métamorphoses », rêve qu'il se transforme en un grand papillon…
Rabelais, « écrivain et moine défroqué », une nuit de ventre creux, rêve d'un gigantesque festin en compagnie du seigneur Pantagruel, un géant avec qui il partage soupe d'orge, oies farcies, chapons à l'eau-de-vie, pintades au roquefort et autres filets de lièvre…
François Villon, quant à lui « poète et malfaiteur », entend du fond de son songe, une étrange ballade chantée par un lépreux et se perd dans un bois aux arbres duquel sont accrochés des pendus…
Et que dire de ce rêve prémonitoire et divin de le Caravage, « peintre et homme irascible », dans lequel le Christ lui intime de peindre « La vocation de Saint-Matthieu », l'un de ses chefs-d'oeuvre à venir…
Au fil d'historiettes ne comptant pas plus de trois / quatre pages, Stevenson accoste sur son île au trésor, Garcia Lorca chante des chansons gitanes, Pessoa rencontre son double obscur et poétique, Goya s'abîme dans de mystérieuses visions et Freud, « le découvreur de la symbolique onirique», couronne malicieusement le recueil en rêvant qu'il est Dora, la jeune femme dont il a interprété l'inconscient.

Alors, la création artistique prendrait-elle sa source au coeur de nos nuits et de nos songes?...
C'est en tous cas ce qu'Antonio Tabucchi s'emploie à suggérer dans ce petit recueil onirique et gracieux.
S'il ne fait pas partie des livres majeurs de l'auteur italien, ce bref ouvrage, concocté par « un nostalgique de rêves ignorés », est cependant suffisamment divertissant et spirituel pour en offrir une lecture récréative permettant de saisir les symboles, les éléments et les circonstances qui ont amenés à créer tous les personnages évoqués, qu'une adroite et brève biographie en fin d'ouvrage vient, de plus, subtilement éclairer.
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