La route se rétrécit progressivement, se transformant en une allée qui montait entre une poignée de collines arborées et couvertes de neige. Sur la droite, elle apercevait la silhouette imposante des hauts plateaux dont les falaises tombaient à pic, comme les murs d'une forteresse.
Ici, il n'y avait rien pour empêcher la montée de ses véritables richesses intérieures. Celles que tout homme abritait sans le soupçonner. Pourtant, les éléments ne lui avaient jamais paru hostiles et il sentait partout autour de lui le danger à l'affût. Il y avait un combat avec la montagne, mais c'était toujours elle qui avait le dernier mot, Jacques n'était qu'un visiteur qu'on tolérait et il le savait parfaitement. Ici, au sommet des hauts plateaux, en plein milieu de la forêt, l'homme n'avait pas eu le temps d'imprégner la terre de son poison. En bas dans la vallée, la fureur et la guerre pouvaient transformer les villes en champs de ruines, mais cet endroit resterait ce qu'il était, car la vie humaine ne lui était pas nécessaire.
Deux prunelles d'un noir opaque s'étaient posées sur elle comme les billes d'un rapace. Elle se dit que ce regard lui paraissait aussi glacé que cette vallée.
Il faisait un froid de marmotte et les flocons avaient déjà recouvert une partie du bitume, rendant les déplacements plus aléatoires. Depuis son incorporation cinq ans plus tôt, Nina détestait la neige. L’idée poétique d’un voile blanc immaculé lavant les imperfections pour ne montrer qu’une surface lisse la faisait bien rigoler. Avec ou sans artifices, la laideur restait là où on l’avait laissée. il suffisait d’attendre un peu pour qu’elle réapparaisse.
C'est au fond du trou qu'on se rend compte des choses essentielles.
Deux prunelles d'un noir opaque s'étaient posées sur elle comme les billes d'un rapace. Elle se dit que ce regard lui paraissait aussi glacé que cette vallée.
Il y a des choses que nos yeux ne voient pas...
La nature répondait à des règles simples, facile à comprendre et à anticiper. Mais le monde des hommes c'était autre chose...
- C'est ça. Vous croyez que j'ai acheté cette maison pat hasard, lieutenant ? Cette affaire, je vous l'ai dit, c'était plus que du boulot. J'y ai consacré dix ans de ma vie. Alors, si vous voulez visiter le manoir Saint-André, retrouvez-moi là-bas cet après-midi, les coordonnées GPS sont dans le mail.
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L'air et le silence avaient la plénitude d'un chant, Jacques était planté au milieu des pins à crochets, les grands yeux ouverts pour sentir le vent froid lui écorcher la cornée. Ici, sur les hauts plateaux du Vercors, l'homme n'avait pas eu le temps d'imprégner la terre de son vacarme. Il n'était ni désiré ni nécessaire et on le tolérait à peine. L'homme n'avait de toute façon aucune idée de la beauté de ve lieu. Il ne le pouvait pas, car il n'avait jamais appris ce que pouvait être un rapport naturel au monde. Ses écoles, ses facultés, ses entreprises et toutes ses théories ne s'intéressaient pas à ça.
-C'est-y pas magnifique ! gémit Piort avec sa voix rauque.
Et il avait raison. Tout n'était que gris ondulant par vagues de lumières successives. Mais pas n'importe quel gris. Il y avait quelque chose de magique dans la densité mouvante des collines et des creux. La langage ne suffisait pas à traduire l'étendue infinie des nuances du monde dans lequel Jacques évoluait.