Le charme de Maïté m'a subjuguée. Elle était ma prof de lettres. Elle a compris que ce que j'écrivais était à l'intérieur de moi-même. Elle était, comme il en va du premier regard, du premier émoi, du premier amour, de ces femmes plus âgées, équilibrantes, qui apparaissent dans la vie. Elle avait quelque chose dans les yeux qui ne trahissait pas.
Maïté m'a reconnue, je l'intéressais. La relation entre elle et moi était réciproque. Nous étions à la fois dans la séduction et dans la projection. En complément à ma mère, Maïté m'apportait ce que je n'avais pas à la maison. A la maison, je suis aimée d'emblée en tant que fille de la maison, membre de la famille, sans condition. Maïté était une rencontre singulière, il s'agissait d'élection, nous nous étions vice versa appréciées, nous nous étions ressenties uniques l'une pour l'autre. La rencontre avait provoqué en moi le déclic d'une révélation. Je n'étais rien, je devenais tout. Je ne m'aimais pas, je nous aimais. Quand elle m'invitait chez elle, tout me ravissait, j'entrais dans le monde de la culture. Elle me transmettait les valeurs essentielles.
Sophonisbe, mon être de beauté, traverse le sommeil de mes nuits. Je rêve d'elle, même éveillée. Je sais de l'amour retenir le bon. Le meilleur pour réécrire son livre. Son souffle, je sais le vivre, et le revivre, l'expérimenter et le savourer jusqu'à en jouir, surtout aux heures de perdition. Une mémoire inachevée, un chant en devenir.
J'avais seulement seize ans. Amour adolescent. J'aimais à tous les modes, à tous les temps, comme je t'aime au présent de l'indicatif, Sophonisbe. Nous ne nous sommes pas choisies, tu es le produit d'une fulgurance, en ce mois d'octobre 2004. Cet éclair continue dans la durée, car dans la forteresse de l'amour, tout le monde veut entrer, et quand on y est, on veut en sortir.
On raconte que les poètes ne meurent jamais, que la philosophie est apparue quand Sétifis a vu le jour. On dit que l’étranger est accueilli comme un roi dans le pays où les fleurs sauvages sont des roses bleues.
Poussée par ce Caligula qui habitait mon être je devenais souffrance. Je suis ballotée dans cette tribune à me demander pourquoi les fantômes ne quittent pas le bateau dans lequel je suis passagère. Je suis le résultat des impératifs que l’on a exercé sur moi. Je n’ai pas enterré la hache de guerre si bien qu’avec l’Amie tout n’est pas rose. Je suis devenue le miroir de ses angoisses. On s’aimait puis se désaimait. Les blessures étaient béantes comme le trou d’un cratère rempli de goudron noir.
Assumer mon désir, c’est prendre le risque de bousculer l’Autre dans ses habitudes et son confort. Tout effort mobilisait mes forces physiques et psychiques. Je ne veux plus accomplir ses désirs, comme je ne veux plus accepter ce regard amoureux. Je me sens prête pour aller vers l’inaccessible visage de Sophonisbe. Elle absorbe mon temps et mon être, elle est ma vie, elle est mon projet, elle est ma raison d’être, elle est mon écriture sublimée. Je refuse toute autre autorité, je m’interdis toute autre soumission où je laissais couler l’encre dans le vide des yeux de l’Amie.
Vouloir n'est pas pouvoir. J'ai appris à me taire dans ce dédale de perversions sexuelles. Je voulais lui dire...Je voulais lui dire que j'étais désespérée. Je voulais lui dire que je n'étais pas de la famille, que j'étais là par erreur, par accident, que les accidents arrivent sans les vouloir. C'était une manière de l'excuser, de la disculper. L’erreur est humaine, n'est-ce pas, petite maman (momti) ? Le droit chemin n'existe pas, maman chérie. C'est seulement dans la tête des gens qu'il se rencontre.