Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag II B, tome 2 : Mon retour en France

Monsieur Tardi reprend la plume. Il délaisse la première guerre mondiale, la commune, les histoires policières et même son héroïne fabuleuse pour se tourner vers la seconde guerre mondiale. Il raconte l'histoire de son père. ou plus exactement il suit son père pendant ses années sombres. Cela lui permet de le retrouver et peut-être, de le comprendre....

Tardi rend un superbe hommage à son père René, en illustrant magistralement ses souvenirs de prisonnier de guerre (KG, en allemand) - et indirectement, l'expérience similaire de son beau-père qui, pour sa part, ne s'est jamais exprimé sur le sujet dans sa famille.
Cette démarche s'incarne dans trois magistraux ouvrages, qui relatent successivement : la "Drôle de guerre" et la captivité de René, son retour terriblement éprouvant, à marche forcée, vers la France, en 1945 (ouvrage qui fait l' objet du présent commentaire) puis sa vie de "rapatrié", qui ne tourne pas le dos à l'Allemagne.
A partir d'un carnet tenu par René durant ce calvaire du retour - où il ne consignait que les dates et heures de mouvements, les noms des localités traversées et quelques anecdotes lapidaires, et des souvenirs qu'il écrivit beaucoup plus tard - dans les années 80 -à la demande de son fils, dans un cahier, Tardi retrace avec minutie le calvaire de ces hommes ballotés sur les routes allemandes en 1945.
Par un artifice que permet la bande dessinée, René chemine en compagnie de son fils adolescent (pas encore né, au moment où se déroule l'action! ) Jacques (notre auteur), qui joue un peu le rôle de Jacques le fataliste, asticotant son père en le mettant parfois face à ses contradictions, ou en lui demandant des précisions, voire en complétant ses commentaires.
Sur la forme, cet album est dessiné en noir et blanc et sépia jusqu'à l'approche de la délivrance, où quelques tâches de couleurs apparaissent, le ciel devient bleu - Les dernières pages sont entièrement colorées, illustration de la liberté recouvrée.
Au fond, cet ouvrage m'a passionné sur le plan historique car, bien que m'étant beaucoup documenté jadis au sujet de la seconde guerre mondiale, je m'étais peu intéressé au sort des prisonniers de guerre :
l'Histoire des "vaincus" serait-elle moins attrayante ?
Même si je savais que le soldat français (quelque soit sont arme) n'a généralement pas démérité en 1940, victime qu'il fut de l'impréparation et de l'incompétence de ses
chefs et de la classe politique française d'avant-guerre.
La lecture de cet ouvrage, pour ce qui me concerne, constitue un hommage mérité à ces hommes qui ont payé toute leur vie cette terrible épreuve.
Ce traumatisme - souvent inexprimé en famille et dans la société, par honte (notamment du fait de la réprobation des pères, vainqueurs en 1918) - s'est transmis souvent aux générations suivantes : grâce soit rendue à Tardi d'avoir aidé son père à retisser les fils de cette aventure humaine : il se peut que la lecture de cet ouvrage ait libéré la parole dans certaines familles, ce ne serait pas son moindre mérite.
J'ai aussi apprécié la verdeur des textes, qui mettent en lumière la lucidité désespérée de cet homme à qui L Histoire joua un très mauvais tour.
Un livre à lire, à prêter ou à offrir !