Ouverture du cycle « Le Royaume », composé de trois livres fort différents, où la manière la plus simple de les résumer serait de les rattacher à l'oeuvre de Kafka, ainsi qu'à cette Mitteleuropa, dont ne vit plus dans l'Histoire qu'une essence littéraire, remplie de monstres sacrés, regardés par chaque lecteur avec crainte et admiration ; bibliothèque sombre et austère, portée par la clameur de l'absolu, dont chaque visite procure un élargissement progressif de son horizon, un gain net permettant à terme de regarder
Nietzsche dans les yeux, sans être trop intimidé par sa moustache.
Son créateur est un portugais né en Angola, professeur d'épistémologie, dont l'oeuvre est parue en France grâce aux éditions Viviane Hamy (merci
Fred Vargas). Il est difficile d'en déterminer l'ordre idéal de lecture, vu que leurs traductions n'ont pas suivi la séquence originale de publication, n'ayant de toute les manières pas d'enchainement linéaire évident.
J'ai longuement hésité sur l'agencement de mes lectures, ainsi que sur la chronologie de mes critiques, ayant bien digéré ce cycle à l'instant où je vous écris, optant donc pour une forme de crescendo, respectant par la même l'ordre français de parution.
(cela fait un peu beaucoup tout cela, mais l'ambition vaut la peine qu'on la respecte…)
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Ambitieux, en effet, ce cycle pourrait s'ouvrir sur ce «
Jérusalem », berceau mythique du grand occident, matrice des monothéismes ; sans avoir réellement droit de cité dans cette histoire, il s'incarne dans ces dualités sacré / profane , raison / folie , corps / esprit qui traversent ce texte par leur éternel questionnement.
Cet univers sombre se construit pour poser des questions auxquels personne ne se propose de répondre. On pourrait arpenter ces histoires, chacune matérialisée par le nom du personnage qu'elle raconte, sans se retourner, y avançant avec les oeillères nécessaire à la vie individuelle, jugeant la déraison à l'aune des normes patiemment construites, l'univers concentrationnaire comme aboutissement civilisationnel.
La raison y serait dictée par le corps, le médical comme juge de paix de l'existence.
Bien entendu, l'interprétation reste libre; la langue y est sèche, réduite à un agrégat minier carbonifère, que l'on respire plus que l'on absorbe, atteignant ces strates méconnues et vaguement effrayantes, peuplées d'hommes aux poils blanc dont les noms raclent notre imaginaire.
Cette savante construction, à la temporalité circulaire, permet d'entrevoir que cette question de la vie ne trouvera pas sa réponse dans la mort.
Un maigre fil, comme celui tissé par ces araignées noctambules, est lancé vers un autre volet de ce cycle, avec le personnage d'Hinnerk Obst, incarnant le Mal sans objet, la conséquence ayant oublié les causes ; ce sous-produit dont l'humanité se passerait bien, cette contradiction avec un système qui n'en admet pas.
Un bouillonnement froid, dont les suites prendront d'autres chemins ; ceux d'un cycle qui s'enrichira à chaque nouvelle lecture et par chaque nouveau lecteur.