C'était son habitude, chasser la poussière dans tous les coins de la maison chaque fois que la vie penchait vers le désastre , comme si les parquets polis et les draps repassés pouvaient apporter une paix timide à un lieu où la mort et la ruine avaient posé leurs empreintes .
-Tu aimes les cimetières ? demanda Pete.
Beam se réveilla en grognant, surpris.
- J’peux pas dire que j’y pense trop souvent.
- On peut savoir un paquet de choses sur un bout de terrain en regardant ceux qu’on y a enterrés. Qui était à la guerre, quand et où ils ont combattu. On peut savoir si un hiver était rude au nombre de bébés et de femmes enterrés une année donnée. Tout ça, c’est sur ces pierres. (Pete agita la main dans la lumière du feu.) Le grand verger de marbre. Voilà tout ce que c’est.
- De quoi vous parlez ?
- De l’histoire avec un grand H. (Pete tapota le sol {ils campent dans un cimetière}.) Juste en dessous de nous, c’est l’histoire.
Voyez-vous, on dit qu'y a que deux choses qu'un homme doit faire, vivre et mourir, mais moi je trouve qu'on est tous plus adaptés à la partie mourir qu'à la partie vivre.
- Je pense pas aux femmes .
- Non?
- J'ai jamais compris les types qui pensent trop à elles . Les femmes sont comme les trains de marchandises. Toutes les dix minutes t'en as une nouvelle qu' arrive.
Je ne crois pas que t'aies besoin de dire quoi que ce soit, déclara-t-il. Y a assez de place dans le non-dit pour que je comprenne ce que tu sous-entends.
Le vautour le toisait depuis son perchoir sur un des ormes malades, les ailes déployées en une croix noire, le bout des plumes lustrées formant des dièdres noirs, dans la posture de celui qui impose le silence au monde, son visage rouge noduleux s'agitant frénétiquement.
Elle semblait fragile à présent , brunie et désséchée comme une fleur pressée dans une bible .
J'ai bien essayé de vivre comme il fallait . Mais il y a ce monde . Il te piège , il t'attrape des fois, tellement qu'on dirait que les choses qu'on fait sont pas vraiment nous . Elles sont ce que quelqu'un d'autre aurait fait .
Les jours se racornirent, puis vinrent les frimas. Elvis observa le changement survenir en lents intervalles - les feuilles abandonnant leur vert pour s'embraser de fauve avant de passer au brun mat et de tomber en un fatras vaste et infini recouvrant les pelouses et les rues et les pâturages, le maïs autour de la rivière devenant frêle et squelettique, la légère couche de givre formant un voile de dentelle sur ses fenêtres chaque matin, le monde vieillissant vers une pâle fragilité, et quand le vent secouait les herbes et les arbres nus de l'hiver, tout semblait trembler du fardeau de savoir quelque chose de pesant et horrible
Daryl s’affala dans son fauteuil.
— Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre, déclara-t-il.