Gurdjieff, un maître à vivre : Le témoignage de l'un de ses premiers disciplines...

Ce livre correspond chez un autre éditeur (Eolienne) à une réorganisation des chapitres et une partielle réécriture (pour améliorer le style) du livre de Tchesslav Tchechovitch « Tu l'aimeras, souvenirs sur Georgii Ivanovitch Gurdjieff » publié aux éditions Charles Antoni L'Originel. Mieux présenté, avec plus de photos, il est meilleur que le précédent. J'y remets la critique que j'avais faite pour le premier livre. En passant, je signale que l'orthographe du nom Tchechovitch, orthographié par erreur Tchekhovitch sur le site de Babelio, ne permet pas au moteur de recherche de trouver le premier livre. Enfin, ceux qui ont déjà lu la précédente critique n'ont pas besoin de lire celle-ci (qu'ils ne perdent pas leur temps…).

Franchement, je n'aurais jamais lu ce livre si son auteur, Tchesslav Tchechovitch, n'était pas le grand-père de ma femme. Elle ne l'a pas connu (il est mort en 1958), mais l'ombre de ce fidèle de Gurdgieff demeure très vivace sur le versant russe de sa famille, si bien que j'ai fini (après tant d'années…) à me décider à lire son bouquin.

Un mot peut-être sur Gurdjieff. le personnage est difficile à qualifier. Il est présenté tout à la fois comme un mystique, philosophe et maître à penser, qui a élaboré une méthode pour approcher une conscience supérieure de soi-même où seraient unifiés l'esprit, les émotions et le corps. On dit aussi que la « quatrième voie » de Gurdjieff fait converger les techniques et modes de vie et d'action du fakir, du moine et du yogi. Joli programme, un peu hermétique, la méthode aussi, il faut du temps pour devenir un être « éveillé » et sortir de cet état « d'homme endormi » qui est notre lot quotidien (pauvres de nous).

Ce que nous avons oublié, c'est que cet homme et sa pensée ont été extrêmement connus et commentés à une époque (le XXème siècle), que sa popularité et sa renommée s'exerçaient en France mais aussi dans toute l'Europe, les USA et le monde entier. Quand il prodigua son enseignement en France près de Fontainebleau puis ensuite à Paris, des adeptes venaient des quatre coins de la planète pour le voir, lui parler et bénéficier du dit enseignement. Il a influencé quantité d'intellectuels et de nombreux ouvrages lui sont consacrés. Moi qui suis assez rétif à toutes les sectes et autres religions, ça me laisse rêveur.

Si on attend du livre de Tchechovitch une approche théorique de la pensée de Gurdjieff, on est déçu. Ce livre est une succession de petites histoires et anecdotes sur Gurdjieff qui nous raconte son quotidien, nous décrit son caractère, son rapport à la vie et aux relations humaines tout autant individuelles que collectives. Même si des bribes de son enseignement sont tout de même présentées et discutées ici et là, ce n'est pas le coeur ni le but de l'ouvrage qui se veut une somme de souvenirs de Tchechovitch sur un homme qui aura bouleversé sa vie. C'est un livre très concret.

Le problème c'est que Tchechovitch est un fidèle parmi les fidèles et que sa présentation du maître confine à l'hagiographie. Nul recul, nulle prise de distance. Tout ce que fait et dit le maître est remarquable même quand on ne le comprend pas (on frise l'adoration). le témoignage n'en est pas pour autant inintéressant. Car il n'y a pas à douter que ce Gurdgieff pour réunir de par le monde autant d'adeptes de son enseignement avait une personnalité hors du commun. Certaines facettes de son caractère mettent assez clairement en évidence cette évidence.

Comme toujours d'ailleurs, il y a du bon à piocher un peu partout et j'ai apprécié certains principes de vie qui sont loin d'être aussi mystiques que cela. Parfois, c'est même très concret. Il y a derrière tout cela une philosophie de la vie, bien éloignée de notre pensée occidentale (Gurdjieff était né en Arménie), qui nous décentre un peu, et explique peut-être son attractivité en occident.

A vrai dire, en raison du lien familial, j'ai tout autant été intéressé par ce que Tchechovitch raconte de sa propre vie. Issu d'une famille bourgeoise, né dans l'empire Russe sur les bords du Dniepr, ville devenue depuis ukrainienne, Tchesslav a d'abord combattu contre les allemands (guerre 14) avant de rejoindre en 1917 l'armée Blanche contre les Rouges au moment de la révolution soviétique. Après la défaite des Blancs, il il fuit la Russie en janvier 21 pour une vie d'errance qui le mène à Constantinople où il rencontre Gurdjieff. Coup de foudre. Il le rejoint ensuite à Berlin, puis plus tard encore le suit à Paris, l'accompagne aux USA et revient à Paris avec lui. Pour ne plus le quitter. A Paris, pour survivre, il devient pâtissier (à son compte). Côtoyant le milieu des émigrés russes suite à la révolution d'octobre 17, il se marie avec une fille d'émigrés, née en Russie comme lui, d'où la naissance du père de ma femme (vous vous en foutez, mais pas elle…).

Après la mort de Gurdjieff en 1949, il transmet le plus fidèlement possible l'enseignement du maître à de nouveaux disciples (qui sont nombreux autour de lui) et cela jusqu'à sa mort en 1958.

Une drôle de vie quand même.