Plus tard, il essaya de peindre la vision qui fut la sienne quand il se retourna ce jour-là. Une enfant echevelée, couverte de sang de la tête aux pieds. Mais comment peindre le bond d'animal sauvage qu'elle avait fait en le voyant, et cet effroi dans ses yeux?
Tu l'as compris, je rencontrais là mon troisième père.
-Voici l'homme qui a sauvé ta jument et son poulain.
C'était Kara Muhammad qui parlait, le serviteur fidèle d'Abd el-Kader, celui qui le suivrait jusqu'à sa mort.
-Quelles choses arrivent ? demanda Slimane.
-Qu'une jument meure en mettant bas.
-Où est-elle?
-Là bas, sous la tente rayée de brun.
-Tu crois pouvoir faire quelque chose, toi? demanda le grand homme noir.
-Je vais essayer, dit Slimane, et l'homme le prit par le bras et l'entraina rapidement avec lui. La nuit tombait.
Mon sauveur s'appelait Slimane. Avant de m'emporter loin du douar fumant, il m'emmena reconnaitre les miens.Je les vis dans le long alignement des corps posés sur le sol.
-Pourquoi t'a-t-il imposé cela?
-Il me l'expliqua plus tard. Il le fit pour moi et pour lui. Je devais voir mes morts. Il faut les voir , tu sais, Felix, car sinon un espoir fou subsiste et l'on peut perdre sa vie à la recherche de ceux dont dont n'admet pas la mort. Tu comprends? Pour Slimane aussi, c'était important. Pour qu'il remplisse son pleinement son rôle de protecteur, il fallait qu'il me sache , que je me sache seule au monde. C'est une certitude terrible lorsqu'on a 4 ans.
Quiconque imite un peuple lui appartient