AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Aquilon62


Dans l'édition illustrée de "un été avec Homère" : Voyage ans le Sillage d'Ulysse, l'auteur écrivait que la géographie poétique consiste à parcourir la Terre en détectant le merveilleux dans ses moindres replis. D'ajouter on se refuse de croire que le monde est vide. Quand on a goûté à ce jeu, le paysage chatoie.
On ne rentre plus dans une caverne, on ne débouche plus dans un sous-bois sans se souvenir que l'humanité antique y plaçait des présences. Tout vibre ! Comme la nature devient gaie !
Mais un jour dans l'histoire des hommes, la raison triompha, la science expliqua tout et un coup de balai fut donné à toute proposition qui n'était pas rationnelle, ni chiffrée. le nombre l'emportait sur la substance. Ce fut le règne de la quantité.
Maupassant déroule cette mélancolie dans ses nouvelles et particulièrement dans un récit intitulé La Peur : « Comme la terre devait être troublante autrefois, quand elle était si mystérieuse ».

Au passage, le grec ancien attribue l'étymologie du mot poète comme étant issu du grec ancien ποιητής, poiêtếs qui signifie auteur, créateur, fabricant, artisan, lui même dérivé de ποιέω, poiéô qui veut dire faire, composer. Voilà qui laisse songeur...
À l'heure où "Les hommes du siècle 21, le mien, étaient passionnés par la discorde. Ils faisaient des choix. Ils réduisaient les chatoiements. L'amour de la dialectique avait créé chez mes semblables une pensée de hachoir et des réflexes de charcutier : on tranchait. Soit l'un, soit l'autre."
Ne serait-il pas bon, voire meilleur, de mettre un peu de sémantique dans la dialectique ?
Passage refermé tel celui des Symplégades, dans les Argonautiques d'Apollonios de Rhodes.

Quitte à poursuivre ce parallèle avec les Argonautes, Sylvain Tesson, à décidé de faire ce que les Grecs redoutaient : franchir Les Colonnes d'Hercule celles qui revêtaient une grande importance dans la pensée grecque, celles qui constituaient une sorte de frontière naturelle du monde connu, celles qui représentaient un lieu symbolique, séparant non seulement la Méditerranée de l'océan Atlantique, mais aussi le monde habité du monde inconnu...

Et après avoir parcouru la Méditerranée à bord d'un voilier, c'est toujours sous les auspices d'Éole qu'il part sur les tracés des fées de la Galice, à la Bretagne, l'Angleterre, le Pays de Galles, l'Irlande, et finir par l'Écosse.

Quittant par moment le pont du bateau, sa barre, sa poupe, sa proue. La proue comme un promontoire, pour rejoindre un autre promontoire géologique cette fois : "Le promontoire recèle trois trésors : la promesse, la mémoire, la présence. On se tient au bout d'un cap de l'Ouest, impatient de ce qui surgira (la promesse), heureux de ce qui se tient dans le dos (la mémoire) et campé sur la falaise (la présence)."

Et c'est à ce nouveau voyage aux sources d'une quête du Graal sur ces terres celtiques, qu'il nous invite, un Graal qui pour lui prend le nom de merveilleux :
"Le merveilleux jaillit sans s'annoncer. Il sourd du ciel, de l'eau, de la terre ou d'un visage. C'est un clignement. On le cherche, il se refuse ; on le veut saisir, il a disparu. Il est difficile à capter, encore plus à définir. le peintre y réussit un peu (Monet à Pourville) parce que le pinceau rend la vibration. On a intérêt à se tenir aux aguets.
Le passé est solennel, il n'est pas merveilleux. L'avenir non plus, qui n'existe pas. Goethe à Eckermann : « Tenez ferme au présent, toute circonstance, tout instant est de valeur infinie car il est le représentant de toute éternité. » le temps se compresse. Reste un dard. Sa piqûre s'appelle le merveilleux.
Le merveilleux surgit du réel. Nul besoin d'associer la splendeur d'un lieu, ni l'électricité d'un moment à une construction de l'imagination. La dryade ne rehausse pas le sous-bois, ni la naïade la fontaine. Tout juste le kitsch excite-t-il l'esprit paresseux. Faut-il une nymphette pour s'émouvoir d'une source ? le merveilleux est ce qui suffit dans ce qui se donne. Goethe encore, dans le Divan : « Ce point où la vie se réjouit de la vie. »
Le merveilleux n'a pas de sources culturelles. Émanation sans cause, rayonnement débarrassé de ses pourquoi, on ne saurait l'arc-bouter aux références. Demain, saurai-je regarder la mer sans convoquer Homère ? Goethe toujours : « Le gâteau plaît à l'enfant sans qu'il ne sache rien du pâtissier. »
Le merveilleux attend l'oeil. Qu'est-ce que le regard ? La pauvre aumône de l'homme à la nature. Souvent, personne ne considère ce qu'il a sous les yeux. Et la roue de l'actualité – bruit et laideur, chiffres et raisons – continue à tourner, écrasant des hommes ivres d'envie, farcis de projets, grimés de fard, fous de malheur, parfaitement aveugles."

Un nouveau voyage avec des compagnons littéraires : Hugo, Apollinaire et Aragon. Nietzsche, les romans du cycle arthurien enluminés par les analyses de Michel Pastoureau. Des études sur le Graal, de la poésie anglaise : Keats, Shelley, Byron. Yeats pour l'Irlanxe, et Walter Scott pour les mouillages écossais.

Goethe écrivait “Si un arc-en-ciel dure un quart d'heure, on ne le regarde plus.” signe que le merveilleux est à la fois simple, futile, fugace, éphémère, fugitif ou évanescent....
Mais qui le rend simple, futile, fugace, éphémère, si ce n'est l'homme lui-même, qui ne sait plus prendre le temps voire perdre son temps.
Tout doit-il avoir une justification ?

La plus belle définition du merveilleux ne serait-elle pas celle-ci
Le merveilleux émane des choses. La grâce les surplombe.
Le merveilleux est contenu dans le monde car il en est l'essence. La grâce s'en distingue car elle en est la source.
Le merveilleux rayonne. La grâce ruisselle. L'un va de la chose à l'homme. L'autre du créateur à la chose.
Le merveilleux irradie du réel et se diffuse au ciel. La grâce descend des nuées et inonde la terre.
Le merveilleux révèle par le regard une force contenue. La grâce convoque dans le coeur une présence extérieure.
Le merveilleux est le nom du génie du lieu ou, mieux, de son esprit. La grâce celui de son gardien ou, pire, de son maître.
Le merveilleux part du réel pour y revenir. La grâce descend de l'abstrait pour expliquer le monde.
Le merveilleux est ici et maintenant. La grâce sera toujours ailleurs.

Alors des rivages des îles Égéennes aux dentelles de granit des côtes celtiques, des récits mythologiques aux légendes celtes, il n'y a qu'un souffle de merveilleux.
Qu'il vienne d'Éole ou d'Ambisagrus...

Et pour finir ce billet cette phrase en forme de questionnement sur notre rapport au temps : "Les hommes doux se méfient de la brutalité du présent, n'accordent pas foi à l'arrogance de l'avenir et regardent tout reflet du passé avec tendresse."
Commenter  J’apprécie          528



Ont apprécié cette critique (40)voir plus




{* *}