Citations sur Bérézina (369)
Autour de nous, la glace, les congères, les banlieues grises, les usines décrépites et les isbas de travers. Le paysage avait la gueule de bois. Même les arbres croissaient de guingois. Le ciel avait la teinte de la flanelle sale.
Il était picard, attaché à sa terre comme un soulier à la glaise. Après avoi visité cent pays, il continuait à tenir un labour de betteraves harassé de crachin pour le plus beau spectacle que la planète puisse offrir.
Il aurait aimé ne jamais quitter les sommets des montagnes, la profondeur des forêts, cette géographie de la désolation qui, seule, convenait à sa tristesse.
Quiconque a marché quelques jours sous les futaies de ce pays sait le désespoir et l'angoisse qui étreignent l'âme, au soir d'une journée où tout effort a semblé vain pour faire se rapprocher l'horizon. L' étendue russe est décourageante.
Les Russes possèdent la passion de baptiser les rues de noms hors de proportion. Une artère sinistre balafrant une cité industrielle plantée dans un marécage s 'appellera " chaussée des Enthousiastes ". L'axe d'une bourgade abandonnée " Boulevard des Pionniers de la Révolution d'Octobre ". Un sentier entre deux alignements de baraques en planches "Avenue de l'Académie des Sciences.
Il faisait sombre, l'air puait le goudron froid. Moscou rugissait déjà comme une monstrueuse machine à laver les âmes. La boue poissait les rues, le ciel, le moral. Les automobilistes se ruaient vers les embouteillages. Des congères flanquaient les trottoirs. Il y avait certainement des cadavres d'ivrognes sous la neige. En Russie, on les appelait " les perce-neige ", ils annonçaient les beaux jours avec autant de fiabilité que les oiseaux migrateurs.
En Russie, l'art du toast a permis de s' épargner la psychanalyse. Quand on peut vider son sac en public, on n'a pas besoin de consulter un freudien mutique, allongé sur un divan.
Il avait découvert le vrai visage de l'hiver russe : un paysage dépressif. Les couleurs avaient déserté le monde. La forêt avait l'air abattue. Le ciel était une défaite, la neige avait la couleur du ciment. Partout la boue.
Notre hôte s'était installé à Moscou vingt ans auparavant. lassé de la France, de ses régulations, des charcutiers poujadistes, des socialistes sans gêne, des géraniums en pot et des ronds-points ruraux. La France petit paradis peuplé de gens qui se pensent en enfer, administré par des pères-la-vertu occupés à brider les habitants du parc humain, ne convenait plus à son besoin de liberté.
Le capitaine nous parlait comme à des chiens et nous prenait, le soir, pour son auditoire. Il fallait subir ses hauts faits, l'entendre dérouler ses vues sur cette science dont il s'était fait le spécialiste : le naufrage. Il y a comme cela des napoléons du minuscule ; en général, ils finissent sur les bateaux, le seul endroit où ils peuvent régner sur des empires.