A Paris, je ne m’étais jamais trop penché sur mes états intérieurs. Je ne trouvais pas la vie faite pour tenir les relevés sismographiques de l’âme. Ici, dans le silence aveugle, j’ai le temps de percevoir les nuances de ma tectonique propre. Une question se pose à l’ermite : peut-on se supporter soi-même ?
Rouler sur un lac est une transgression. Seuls les dieux et les araignées marchent sur les eaux. J’ai ressenti trois fois l’impression de briser un tabou. La première, en contemplant le fonds de la mer d’Aral, vidée par les hommes. La seconde en lisant le journal intime d’une femme. La troisième, en roulant sur les eaux du lac Baïkal. Chaque fois, l’impression de déchirer un voile. L'œil regarde par le trou de la serrure.
Je suis seul. Les montagnes m'apparaissent plus sévères. Le paysage se révèle, intense. Le pays me saute au visage. C'est fou ce que l'homme accapare l'attention de l'homme. La présence des autres affadit le monde. La solitude est cette conquête qui vous rend jouissance des choses.
La pluie a été inventée pour que l'homme se sente heureux sous un toit.
J'ai atteint le débarcadère de ma vie.
Je vais enfin savoir si j'ai une vie intérieure.
Le brouillard a avalé le monde.
Qu'est ce que la société ? Le nom donné à ce faisceau de courants extérieurs qui pèsent sur le gouvernail de notre barque pour nous empêcher de la mener où bon nous semble.
Comment peut-on préférer mettre les oiseaux dans la mire d'un fusil plutôt que dans le verre d'une jumelle ?
La cabane, royaume de simplifications. Sous le couvert des pins, la vie se réduit à des gestes vitaux. Le temps arraché aux corvées quotidiennes est occupé au repos, à la contemplation et aux menues jouissances . L'éventail des choses à accomplir est réduit. Lire, tirer de l'eau, couper le bois, écrire et verses le thé deviennent des liturgies . En ville, chaque acte se déroule au détriment de milles autres. La forêt resserre ce que la ville disperse.
C'est décidé , on se décide à vivre en cabane, on s'imagine fumant le cigare devant le ciel, perdu dans ses méditations et l'on se retrouve à cocher des listes de vivres dans un cahier d'intendance. La vie, cette affaire d'épicerie.