Le solitaire des forêts a deux amours, le temps et l'espace. Le premier, il l'emplit à sa guise, le deuxième, il le connaît comme personne.
Je retenais de ces rencontres qu'ils accordaient un prix immense à la reconnaissance vestimentaire, cultivaient l'esprit de quartier et le conformisme comportemental, aimaient les objets coûteux, développaient un souci maladif de l'apparence, croyaient à la loi des forts, ne nourrissaient pas beaucoup de curiosité pour l'autre et possédaient leurs codes de langage : les signes distinctifs de l'esprit bourgeois.
Il paraît que des hommes inspectent les hanches des femmes pour savoir si elles feront de bonnes génitrices. D'autres fixent les yeux pour deviner si elles feront des amantes captivantes. D'autres estiment la longueur des doigts pour se faire une idée de leur sensualité. Certains coulent des regards identiques sur la géographie.
Je pense au destin des visons. Naître dans la forêt, survivre aux hivers, tomber dans un piège et finir en manteau sur le dos des rombières dont l'espérance de vie sous les futaies serait de trois minutes.
Le cigare et la vodka, compagnons idéaux de ces moments de repli. Aux pauvres gens, aux solitaires, il ne reste que cela. Et les ligues hygiénistes voudraient interdire ces bienfaits! Pour nous faire parvenir à la mort en bonne santé?
Rien ne vaut la solitude. Pour être parfaitement heureux, il me manque quelqu'un à qui l'expliquer.
- J'aime les allemands, dit Sergueï.
- Ah oui, la philosophie, leur musique...
- Non, les voitures.
Pendant cinq années, j'ai rêvé de cette vie. Aujourd'hui, je la goûte comme un accomplissement ordinaire. Nos rêves se réalisent mais ne sont que des bulles de savon explosant dans l'inéluctable.
Les hippies fuyaient un ordre qui les oppressait. Les néo-forestiers fuiront un désordre qui les démoralise.
J'ai avalé presque tout Jack London, grey Owl, Aldo Léopold, Fenimore Cooper et une quantité de récits de l'école du Nature Writing américain. Je n'ai jamais ressenti à la lecture d'une seule de ces pages le dixième de l'émotion que j'éprouve devant ces rivages. Je continuerai pourtant à lire, à écrire.